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Théories esthétiques et polémique littéraire dans les revues moscovites de l'époque romantique (1824-1834)

Després, Isabelle 17 December 1994 (has links) (PDF)
Cet ouvrage dresse un état des lieux des débats autour du romantisme, tels qu'ils se reflètent dans les revues publiées à Moscou, entre 1824, date de la parution de la revue des futurs décembristes Mnémozyne, et 1834, date de l'interdiction du Telegraf de N. Polevoï et de la publication, dans le supplément du Teleskop de N. Nadejdine, du célèbre article de V. Belinski, " Les rêveries littéraires ". La première partie montre qu'au-delà des divergences, tous les hommes de lettres du début du XIXe siècle étaient réunis par un même objectif, susciter l'apparition d'une littérature russe à la fois nationale, et " moderne ", c'est à dire européenne. Les critiques russes reprennent méthodiquement les théories esthétiques des romantiques européens, en particulier de l'école d'Iéna: Schiller, F. et A. Schlegel, Tieck et Wackenroder . Grâce à un recours à la philosophie allemande, et particulièrement à l'idéalisme objectif de Schelling, les romantiques moscovites parviennent à donner un fondement philosophique à leur esthétique, et ainsi à justifier l'existence d'une critique littéraire. On examine également les différences contextuelles entre le romantisme français et le romantisme russe: le romantisme français est plus social et politique, que national et philosophique. Le rejet par Nadejdine du romantisme dans ce qu'il a de plus excessif, se fait au nom de la morale, voire même des convenances, tandis que pour Polevoï, la vérité est toujours morale si elle est bien intentionnée. Enfin, le futur grand critique V. Belinski introduit l'idée dialectique de la lutte entre le bien et le mal, qui a pour corollaire celle de la nécessité de l'existence du mal, pour l'existence du bien. La dialectique est un des apports essentiels de la philosophie allemande à la théorie esthétique. C'est d'elle que découle la théorie des moments de l'art. Elle permet aux critiques d'envisager la synthèse du classicisme et du romantisme, qui ne sont plus considérés comme deux mouvements antagonistes, mais comme deux phases du développement de l'art. Parallèlement, Hegel développe une nouvelle philosophie de l'histoire. Tout cela va permettre l'émergence d'une critique fondée sur la méthode historique, où les écrivains ne sont plus considérés indépendamment les uns des autres, mais en relation les uns par rapport aux autres. Nadejdine conclut que le temps est venu, pour l'humanité civilisée, d'un art nouveau, authentiquement national, s'appuyant sur la synthèse du classicisme et du romantisme. Dans la seconde partie de notre thèse, intitulée " Construire une littérature nationale ", on reconsidère la question du romantisme sous l'angle de la narodnost'. Le débat sur l'imitation a montré que le romantisme russe n'est pas homogène, mais présente deux tendances, dont l'une met l'accent sur la modernité et l'esprit du siècle, tandis que l'autre considère le romantisme comme une libération, et insiste sur l'affirmation de l'esprit national, et l'expression sincère et authentique de l'artiste. À partir des années trente, les critiques moscovites acceptent et assument la différence avec l'Europe. Le débat se porte sur la notion de narodnost', et il apparaît que le caractère national n'est pas dans la forme extérieure de l'œuvre, mais dans le regard du poète, dans le poète lui-même, ce qui amène à la reconnaissance de Pouchkine comme poète national . Puis la critique peu à peu se met à chercher le caractère national non plus dans le Poète russe, mais dans la vie russe, ce qui apparaît comme un pas décisif vers le réalisme. Ainsi se pose la question du héros national. Dans les années trente, on recherche le caractère national dans la représentation de l'histoire russe. En outre, considérant que les formes lyriques ne correspondent plus aux exigences de la modernité, ni à l'expression de l'identité nationale, les critiques cherchent un nouveau genre, adapté à l'expression du caractère russe. Le drame romantique shakespearien apparaît comme le genre le plus approprié à la mise en scène de l'esprit de l'époque représentée, et de l'esprit du peuple-héros. Pourtant, la parution du drame de Pouchkine Poltava en 1829 reçoit un accueil mitigé. La critique considère que Pouchkine ne s'est pas affranchi de l'influence de Byron. Boris Godounov, écrit plus tôt mais publié deux ans plus tard, correspond mieux aux attentes de la critique, mais seul I. Kireevski salue sans réserves ce tournant dans l'œuvre de Pouchkine. Mais l'histoire ne doit pas être la seule source d'inspiration. Le présent de la Russie n'est pas moins authentiquement russe que son passé. Le peuple, contrairement à la société cultivée, a été préservé des influences européennes. On termine ce chapitre en laissant entrevoir ce que sera la critique " réelle ", et le réalisme russe de la seconde moitié du XIXe siècle. La troisième partie étudie, à travers les débats théoriques et la polémique, la naissance d'une critique littéraire russe. Un premier chapitre retrace l'évolution de la vie littéraire à Moscou et décrit la guerre des périodiques, qui culmine en 1829. Mais après 1830, progressivement, avec l'appauvrissement de l'aristocratie qui entraîne la fin du mécénat, les débuts de l'ère industrielle, le changement des mentalités, il apparaît qu'une revue moderne, pour être rentable, doit aller dans le sens du goût du public le plus large, qu'elle doit être attrayante, qu'elle doit informer, être ouverte sur les cultures européennes. La critique littéraire a une place déterminante dans les revues des années trente, et il devient nécessaire pour elle de redéfinir ses outils et ses critères. On étudie ensuite la polémique sous un angle nouveau, celui des " plébéiens " (M. Pogodine, N. Polevoï) opposés aux aristocrates (P. Viazemski, V. Odoevski, I. Kireevski), et on termine par l'opposition Moscou / Saint-Pétersbourg. Le dernier chapitre est consacré à la méthode critique naissante. Celle-ci s'appuie sur la philosophie de l'idéalisme allemand, subjectif puis objectif. D'autre part, selon la méthode des critiques romantiques européens, l'œuvre ne doit pas être considérée indépendamment de l'auteur. Il faut prendre en compte l'homme, son caractère et sa vie, se plonger dans son univers, s'en faire un ami. C'est la méthode prônée par N. Polevoï. Nadejdine, lui, refuse catégoriquement cette méthode biographique. Il s'attache exclusivement à l'œuvre, et à son caractère national, qu'il juge en la comparant à la réalité. Le critique aura le rôle de confrontation de l'œuvre à la réalité. L'œuvre est considérée comme un document sur la vie, comme un témoignage sur la réalité. Le critique est donc tenté de donner son opinion sur la société russe et la signification de l'histoire russe, d'autant plus que les conditions politiques et la censure d'Etat ne laissent pas de place pour un journalisme d'opinion indépendant. L'œuvre littéraire devient pour le critique un prétexte pour construire sa propre représentation de la réalité russe. L'article critique tend à devenir un essai littéraire.

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