Cette thèse se situe à la jonction de l'approche foucaldienne de l'idéologie néolibérale, de l'anthropologie politique du corps et du féminisme. Il s'agit de la première étude prenant pour objet les pratiques de beauté féminine à Taïwan. Ces dernières, dans leurs formes contemporaines, visent un idéal, celui de la zhenmei (正妹), plaisant aux hommes, mais aussi source d'une grande satisfaction pour les femmes qui l'atteignent. Ces pratiques sont coûteuses en énergie, temps et argent et contribuent significativement à une vie jugée réussie, que ce soit sur le marché du mariage, de l'emploi, ou encore dans les relations sociales en général, ainsi que pour la satisfaction de soi. L'idéal de beauté est atteint par une surveillance constante du corps des femmes, une surveillance qui tantôt réprime, mais qui tantôt produit aussi des comportements jugés désirables. Je nomme cette surveillance et les pratiques qui en découlent le « travail esthétique » (aesthetic labor). Dans un contexte où les relations entre les femmes et les hommes sont clairement inégales, ce travail, qui se voit naturalisé et « invisibilisé », peut être vu comme une inégalité de plus. Dans le cadre de cette thèse, plutôt que de condamner les pratiques de beauté, je souhaite comprendre la rationalité qui sous-tend un si grand investissement dans l'apparence des répondantes qui ont participé à ma recherche. Ces femmes (80), rencontrées au cours d'une collecte de données de type ethnographique, étaient urbaines, instruites et elles maîtrisaient les compétences nécessaires au travail esthétique. Certaines étaient même des actrices critiques de l'idéal de la zhenmei et des pratiques qui en découlent. En appréhendant ce phénomène à partir d'une perspective critique de l'idéologie néolibérale, je montre que le travail esthétique participe de l'idéal d'un entrepreneur de soi responsable de la valorisation de son capital humain (dont la beauté est une composante) afin d'en tirer la reconnaissance des autres ainsi qu'une satisfaction personnelle. Mon analyse illustre que la satisfaction de soi, en tant que revenu immatériel de la valorisation du capital humain, est la visée du jeu d'appréciation-dépréciation que l'idéologie néolibérale implique. Les années de pratiques investies dans le travail esthétique sont menacées de dépréciation par le passage du temps et nécessitent un travail constant d'autosurveillance. Les processus visant à conjurer la dépréciation se trouvent particulièrement bien exemplifiés dans le cas de la grossesse qui représente, dans ce contexte, une vraie menace pour le capital. Les femmes se retrouvent alors devant une situation qui les amène à choisir entre la possibilité de sacrifier leur capital humain pour la poursuite de la lignée de leur époux ou la possibilité de s'engager dans des pratiques visant à corriger au mieux ce qui a été « brisé » par le fait de porter un enfant. Ces pratiques sont diffusées dans des magazines de maternité et institutionnalisées dans des centres de repos où les mères séjournent durant le mois suivant l'accouchement (月子中心). Des conseils spécifiques y sont dispensés concernant l'allaitement ainsi que la nourriture à consommer non plus tellement pour « se remettre » de la naissance, mais pour « redevenir comme avant ». Finalement, des pratiques traditionnelles sont réinterprétées par ce que je nomme le « souci pour la beauté ». Les femmes que j'ai rencontrées ont insisté sur l'importance de tenter de répondre de l'idéal de beauté et d'investir dans les pratiques jugées nécessaires malgré la maternité et le passage du temps. Enfin, ce ne sont pas toutes les femmes qui adhèrent ou peuvent adhérer à l'idéal de la zhenmei, certaines sont, en effet, réfractaires au modèle valorisé et mettent parfois de l'avant d'autres domaines de valorisation. / This thesis is located at the junction of feminism, political anthropology of the body and Foucauldian approach to neoliberal ideology. It is the first in-depth research on the phenomenon of women's practices of beauty in Taiwan. These practices aim at an ideal, the zhenmei (正妹), pleasing male gaze but also a source of great satisfaction for those women who reach it. Beauty practices are costly in time and in money and if they are seen as a condition for a successful marriage and career, they are also repeatedly said to be for one own satisfaction. The ideal is reached through a constant surveillance of their body which I call aesthetic labor. This labor is naturalized and invisibilized and in a context where gender relations are clearly unequal this could be seen as another example of inequality. However, my aim is not to condemn these practices but rather to understand the rationality underlying it. The women I met during the fieldwork (80) were educated and urban and mastered requirements of the aesthetic labor, though as reflexive actors some were critical of it. In addressing the phenomenon from the perspective of a critique of neoliberal ideology, I show that aesthetic labor contributes to the ideal of an entrepreneur of the self, responsible for enhancing her human capital (beauty capital) to get self-satisfaction and appreciation from others. I show that self-satisfaction is the real stake of the human capital appreciation-depreciation prescribed by neoliberal ideology. However, these years of work are threatened of depreciation (with the passage of time) and therefore need constant labor and self-monitoring. This becomes particularly clear with pregnancy which is seen as a significant threat to this capital. Women are faced with a choice, either they sacrifice their own human capital for the benefit of the children and hence the husband lineage, or they engage in a variety of practice to correct what has been "broken" by the fact of bearing a child. These practices have already been diffused in popular magazines, and institutionalized for example in rest houses to spend the "month" (月子). They also bring advice concerning breastfeeding and other concerns with appropriate food. Women explained the importance to keep up with the beauty ideal and self-manage to preserve their beauty capital even though mothering and aging. Finally, it is not all women of the Taipei Chic who want to abide by the beauty ideal. Some of them contest those norms and propose other domains of valorization.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/67879 |
Date | 24 February 2021 |
Creators | Keyser-Verreault, Amélie |
Contributors | Couillard, Marie-Andrée |
Source Sets | Université Laval |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | thèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat |
Format | 1 ressource en ligne (xiv, 327 pages), application/pdf |
Coverage | Taiwan Taibei., Taiwan. |
Rights | http://purl.org/coar/access_right/c_abf2 |
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