Dans un contexte de crise environnementale et civilisationnelle, les approches sociétales des disciplines du design dénotent l’importance des recherches en design pour une pensée écologique et écosystémique du monde, au travers de la notion de coercition par des dispositifs. Que la cible soit l’usager, le consommateur, le citoyen, le designer lui-même ou les disciplines du design, des stratégies agissant dans le sens d’une émancipation, d’une libération, d’un dé-assujettissement, d’un soulèvement des individus peuvent se percevoir au travers de nouvelles visions, de nouvelles utopies, de chartes et de manifestes.
Or, les résultats escomptés, tant sur nos écosystèmes que sur les comportements individuels et collectifs demeurent limités. Toute tentative de régulation des flux de production et de consommation se heurte aux enjeux contemporains d’un capitalisme se renouvelant dans l’accaparement et la marchandisation des critiques qui lui sont destinées. La composante destructrice de ce capitalisme, sur lequel le design s’est appuyé jusqu’à présent, semble corrélée aux comportements consuméristes se catalysant dans l’affirmation d’un sujet individuel, consommateur de ressources. Afin de masquer la terreur fondamentale de sa subjectivité nue, l’individu est devenu écophage dans la mesure où il renouvèle sa condition de sujet individualisé en devenant consommateur de subjectivations. Incidemment, la singularité promise par l’accès aux désirs d’émancipation individuelle s’est transformée en coercition : l’individualisation s’est mutée en servitude volontaire selon un processus égophage. Le système mortifère de ces deux phénomènes phagiques est au cœur du territoire de la thèse qui, proposant de saisir la problématique à partir d’un changement de paradigme de l’individu au travers de son processus d’individuation, offre des pistes de solutions pour le design.
Ainsi, le design qui a accompagné, promu et esthétisé le modèle destructeur du consumérisme, doit envisager aujourd’hui une remise en question de son rôle sociétal. Mais pour expérimenter des voies divergentes qui changent nos manières de concevoir le monde, il doit travailler sur l’entendement de l’individu lui-même sur ce monde. Rendre le monde habitable, soit repenser une habitabilité du monde, se révèle être aussi une position coloniale de l’humanité privant l’humanité de réflexions sur son rapport de dépendance au monde.
Dans ce nouveau cadre, le rôle d’un design sentinelle peut s’appuyer sur trois stratégies entrevues dans les recherches et pratiques actuelles : 1) une résistance aux dispositifs en évaluant les contraintes sociétales aux dispositifs ; 2) une pratique discrète pour se soustraire au mercantilisme ; 3) une objectivation des individus. Dès lors, le design doit provoquer un changement de paradigme de l’individu, au travers de l’individuation. La relecture du proto design, du design contemporain, de la philosophie et de la critique esthétique soutient l'hypothèse que l’individuation soulève les enjeux d'un design sociétal en révélant, avec l’aide de la pensée complexe, des dispositifs à l'œuvre sur l'individu dont le dénominateur commun est la dialectique sujet/objet. Cette remise en cause implique une décolonisation de la pensée pour une nouvelle réflexion de son rapport de dépendance au monde, autrement que par des processus de subjectivation qui la stipulent. L’habilitation de l’humain à modifier et à détruire selon ses désirs l’environnement est-elle encore viable ? De fait, cette dépendance à la dialectique sujet/objet devrait s’inverser par une ouverture dialogique permettant au design de transition de muter vers une transition du design, le design devant se transformer face aux dispositifs qui le contraignent.
Avec la réalisation de contre-dispositifs individuationnistes basés sur l’objectivation, de nouvelles vertus – telles que la reconnaissance et la considération – pourraient favoriser un nouveau rapport objectivé de l’individu. Dans ce cadre, le positionnement traditionnel du design éviterait les dispositifs selon une nouvelle disposition transversale, ce qui permettrait non seulement d’échapper mais aussi de montrer ces dispositifs. Les facteurs d’émancipation de l’individuation – tels que critique, objectivation, actualité et révolte – sont à même d’émanciper un design vecteur d’individuation et de transformation de l’individu. Le design individuationniste pourrait alors adopter une nouvelle posture a-morale en engageant un processus d’objectivation pour devenir un design non plus social mais sociétal.
Afin de déjouer ce système écophagie/égophagie, la thèse propose un changement de paradigme de l'individu et de sa relation au bien commun, en envisageant des nouvelles vertus de transcendance à travers le concept de probriété, dérivé de facteurs de natalité, de considération et de reconnaissance. De la substitution de l’individuation à l’individualisation émerge une nouvelle téléologie. Axée sur une pédagogie de la déconstruction des dispositifs, cette nouvelle vision du design permettrait d’enseigner les conditions ontologiques et épistémologiques qui l’ont vu naître. Avec une discipline individuationniste du design, décolonisée de l’économie, se tisse une pensée de l'habitabilité et de l'appropriation du monde qui reconnait et réconcilie la finitude de la terre et de l'humain. / In a context of environmental and civilizational crisis, the societal approaches found in design disciplines point to the importance of design research for an ecological and ecosystemic way of thinking about the world, through the notion of coercion by apparatus. Whether the target is the user, the consumer, the citizen, the designer herself or the design disciplines, strategies to emancipate, liberate, de-subjugate and uplift individuals can be seen in new visions, utopias, charters, and manifestos.
Yet the expected results, both on our ecosystems and on individual and collective behavior, remain limited. Any attempt to regulate production and consumption flows comes up against the contemporary challenges posed by a capitalism that is renewing itself by monopolizing and commodifying the criticisms it receives. The destructive component of this capitalism, on which design has hitherto relied, seems to be correlated with consumerist behavior catalyzed by the assertion of an individual, resource-consuming subject. In order to mask the fundamental terror of its naked subjectivity, the individual has become an ecophagus insofar as it renews its condition as an individualized subject by becoming a consumer of subjectivations. Incidentally, the singularity promised by access to the desires of individual emancipation has been transformed into coercion: individualization has mutated into voluntary servitude through a process of egophagy. The mortifying system of these two phagic phenomena lies at the heart of the thesis, which proposes to grasp the problem from the point of view of a paradigm shift of the individual through its individuation process, offering possible solutions for design.
Thus, design, which has accompanied, promoted and aestheticized the destructive model of consumerism, must today consider questioning its societal role. But to experiment with different ways of thinking about the world, we need to work on our own understanding of the world. Making the world habitable, i.e. rethinking the world's habitability, is also proving to be a colonial position for humanity, depriving it of the opportunity to reflect on its dependent relationship with the world.
Within this new framework, the role of sentinel design can be based on three strategies identified in current research and practice: 1) resistance to apparatus by assessing societal constraints on them; 2) discreet practice to avoid commercialism; 3) objectification of individuals. From then on, design must provoke a paradigm shift in the individual, through individuation. A re-reading of proto-design, contemporary design, philosophy and aesthetic criticism supports the hypothesis that individuation raises the stakes of societal design by revealing, with the help of complex thinking, apparatus at work on the individual whose common denominator is the subject/object dialectic. This questioning implies a decolonization of thought, for a new reflection on its relationship of dependence to the world, other than through the subjectivation processes that stipulate it. Is human empowerment to modify and destroy the environment at will still viable? In fact, this dependence on the subject/object dialectic should be reversed by a dialogical opening that enables transitional design to mutate into a transition of design, with design transforming itself in the face of the apparatus that constrain it.
With the realization of individuationist counter-apparatus based on objectification, new virtues - such as recognition and consideration - could foster a new objectified relationship of the individual. In this framework, the traditional positioning of design would avoid apparatus in a new, transversal way, allowing these apparatus to be not only escaped, but also shown. The emancipatory factors of individuation - such as critique, objectification, actuality, and revolt - are capable of emancipating design as a vector of individuation and transformation of the individual. Individuationist design could then adopt a new, a-moral stance, engaging in a process of objectification to become not social but societal design.
In order to outmaneuver this ecophagy/egophagy system, this thesis proposes a paradigm shift of the individual and its relationship to the common good, by envisaging new virtues of transcendence through the concept of proberty, derived from factors of natality, consideration and recognition. A new teleology emerges from the substitution of individuation for individualization. Based on a pedagogy of apparatus deconstruction, this new vision of design would teach the ontological and epistemological conditions that saw its birth. With an individuationist discipline of design, a design auctor, decolonized from the economy, weaves a way of thinking habitability and appropriation of the world that recognizes and reconciles the finitude of the earth and the human.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/33828 |
Date | 05 1900 |
Creators | Mistral, Christophe |
Contributors | De Coninck, Pierre |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
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