Return to search

La tragédie française sous les cardinalats de Richelieu et Mazarin : coïncidence, parité et déséquilibre entre État, Roi et Dieu

Les cardinalats de Richelieu et de Mazarin sont marqués par des troubles politiques. La Fronde et le règne de Louis XIII sont des phases transitoires. La mise en place du droit divin, le traité de Westphalie et les révoltes internes au royaume ont modifié considérablement les organes de la politique. La monarchie absolue et de droit divin trouve ses fondements durant cette période. Dieu, État et Roi sont donc redéfinis, car les liens qui les unissent changent. Notre propos concerne donc cette phase transitoire. Nous ne nous intéresserons pas à la réalité historique de ces modifications, mais à leur perception dans le monde de la tragédie.

Dieu, État et Roi sont omniprésents dans la dramaturgie française, qu'elle s'appuie sur une base historique ou mythologique. Nous chercherons donc à définir ces trois instances et les liens qui les unissent. Pour ce, nous utiliserons la terminologie de Louis Althusser, Ses théories, de par leur transpériodicité et la mise en avant du rôle de l'idéologie dans la politique, nous serviront à caractériser les rapports entre nos trois instances. État, Roi et Dieu seront envisagés en tant qu'appareils idéologiques ou répressifs d'État.

La première partie s'appuie sur deux pièces, Héraclius de Pierre Corneille et Saul de Pierre du Ryer. Ces deux tragédies mettent en scène la déchéance d'un tyran et l'accession au trône du souverain légitime. Dans les deux cas, Dieu est le juge qui punit le despote et récompense le vertueux. Dieu est le garant de l'État, et il agit grâce au peuple. La révolte populaire est, dans les deux tragédies, un signe providentiel. L'armée se rallie au peuple, et exécute la sentence divine. Pierre du Ryer et Pierre Corneille n'hésitent pas à confondre ces deux groupes avec l'État. État et Dieu participent à l'ascension du souverain, nous sommes confrontés à une totale osmose entre État, Roi et Dieu. Le souverain, ici, c'est celui qui est choisi par Dieu et par l'État, le tyran, celui qui est rejeté. Pierre du Ryer et Pierre Corneille ne font pas du souverain le porteur d'un projet politique, sa légitimité provient uniquement des relations qui l'unissent à Dieu et à l'État. D'ailleurs, les deux souverains légitimes ne sont pas des héros tragiques, ce sont les tyrans qui assument ce rôle.

La deuxième partie concerne La Mort de Brute et de Porcie de Guyon Guérin de Bouscal et Le Véritable Saint Genest de Jean de Rotrou. La tragédie de Guérin de Bouscal, qui représente la bataille entre Marc Antoine et Brutus, s'apparente à une ode à la monarchie française. La République est le lieu de l'orgueil, de l'ambition personnelle et de l'impiété. La monarchie, elle, favorise la solidarité entre tous. Toutefois, la victoire d'Octave et de Marc Antoine est bien plus la victoire de Dieu que celle d'un monarque. L'on précise bien que Dieu fait les destinées, les hommes ne sont que les instruments de sa volonté. Le Véritable Saint Genest nous confronte à un tout autre duel, celui entre la chrétienté et la tétrarchie de Dioclétien. Le pouvoir terrestre est peint faible, impuissant à combattre les révoltes chrétiennes. Les chrétiens sont, chez Jean de Rotrou, des guerriers, des soldats de Dieu qui ne craignent rien. La conversion change l'homme et le détache du monde terrestre. Le chrétien est ici un révolté, un opposant perpétuel au pouvoir terrestre. Le seul roi est celui qui gouverne le royaume des cieux, les tétrarques, eux, ne sont que des acteurs. Dans ces deux tragédies, on ne trouve aucune parité entre État, Roi et Dieu, puisque ce dernier a une position éminemment supérieure à toutes les autres.

Notre troisième partie porte sur deux tragédies bien différentes, Rodogune de Pierre Corneille et La Mort d'Agrippine de Savinien Cyrano de Bergerac. Chez Corneille, deux royaumes s'affrontent, celui des Parthes et celui des Syriens. La présence d'un ambassadeur met en avant que le Roi n'est pas l'unique représentant de l'État. Chez les Parthes, ce dernier sert d'instance supérieure. Rodogune et l'ambassadeur n'agissent qu'en fonction de ses intérêts. Du côté syrien, la situation est tout autre. La reine est toute puissante, c'est elle qui fait les rois. Cléopâtre n'agit qu'en fonction de ses propres intérêts, elle ne sert pas l'État, elle l'utilise. Elle est son propre Dieu, et celui de ses deux fils. Chez Cyrano de Bergerac, Dieu a une importance dérisoire; un des personnages est même athée. La Mort d'Agrippine désacralise également le souverain. Il est décrit comme un criminel qui, de plus, n'a que peu de pouvoir. Celui-ci est disséminé entre l'empereur, le sénat, les Grands et le peuple. Tous n'agissent que pour satisfaire des ambitions personnelles. L'idée de bien commun est étrangère à tous les personnages. Dans ces deux tragédies, Roi, État et Dieu ne sont pas unis. Leur définition est instable, et leur aura très faible.

Les tragédies écrites sous les cardinalats de Richelieu et de Mazarin brillent par leur diversité. Les rapports entre État, Roi et Dieu diffèrent d'une pièce à l'autre. Le roi est tantôt un élu de Dieu, tantôt un aristocrate parmi les autres. Dieu est le maître suprême, puis on nie son importance, voire son existence. L'État, quant à lui, est soit la préoccupation de tous, soit un objet lointain dont le sort n'a d'intérêt que s'il sert des ambitions privées. Ce qui relie toutes ces oeuvres, c'est le problème de la légitimité. En ce sens, ces tragédies reflètent bien l'instabilité qui règne dans les années 1630-1650.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.2506
Date January 2012
CreatorsDelcambre, Lucie
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
Detected LanguageFrench
TypeThèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed
Formatapplication/pdf
Relationhttp://constellation.uqac.ca/2506/

Page generated in 0.1009 seconds