Le présent mémoire a pour objet les relations citationnelles qu'entretiennent la Chanson de Roland et la Bible dans la perspective herméneutique d'une lecture à quatre niveaux de sens, telle que développée par les exégètes chrétiens du Moyen Âge. L'analyse est précédée d'une étude des circonstances entourant la composition du poème qui vise à mettre en lumière son inscription dans l'idéologie chrétienne et sa visée propagandiste. Il semble en effet que la Chanson puise son inspiration dans les légendes carolingiennes et les récits bibliques qu'elle renouvelle et modifie pour se construire à son tour. Le premier chapitre se veut une recherche sur les influences féodales, littéraires, mystiques et intellectuelles qui ont déterminé la composition de cette ?uvre unique aux origines énigmatiques. Il vise à démontrer que le poème de Roncevaux est le véhicule idéal pour servir l'idéologie chrétienne des Xle et Xlle siècles sous le couvert d'une chanson épique. Ainsi, le système féodal régit les faits et gestes des personnages de la Chanson. Charlemagne et ses chevaliers évoluent dans le décor du XIIe siècle. La littérature et l'histoire deviennent des sources inépuisables de contes, de légendes, de chansons et d'exploits qui parviennent à exciter de nouveau les passions et à ranimer le sentiment patriotique. Si le texte divertit les foules et soulève la classe chevaleresque, il sert aussi, de façon voilée, les intérêts des papes de l'époque. L'appel à la croisade se fait sous le patronage du roi-croisé Charlemagne. Suite aux discours religieux, une véritable renaissance carolingienne et le désir d'un salut assuré entraînent toute l'Europe dans une effervescence mystique. La Chanson de Roland fait miroiter les honneurs que les croisés peuvent acquérir en combattant en Terre sainte et en mourant en martyrs pour la gloire de Dieu.
Le deuxième chapitre s'applique à montrer que, derrière la trame anecdotique de la bataille de Roncevaux, plusieurs motifs bibliques sont interpellés. Lorsque des passages de la Chanson de Roland sont rapprochés de certains passages de l'Ancien et du Nouveau Testament, on s'aperçoit qu'ils agissent comme des citations et dissimulent dans le poème un message chrétien qui vise à diffuser un enseignement catéchétique et un appel à la croisade. Mais ces relations citationnelles doivent être envisagées non pas comme celles que définit l'intertextualité contemporaine, mais comme la citation telle que pratiquée au Moyen Âge et caractérisée par une plasticité extrême. Dans le poème, la citation se nourrit du discours chrétien de l'époque de la première croisade et de la Bible. Ces réminiscences ou récritures bibliques dévoilent un message évangélique très fort. Elles citent, mais elles réactualisent aussi, dans un contexte de croisades et de chevalerie, les passages bibliques, principalement ceux en lien avec les évangiles. Jésus et ses douze apôtres deviennent Charlemagne et ses douze pairs, Jérusalem devient Saragosse, etc. L'utilisation de citations bibliques et de réminiscences religieuses incontournables fait de la Chanson de Roland une ?uvre d'enseignement religieux et de renforcement catéchétique.
Le troisième chapitre élargit la perspective biblique et chrétienne de la Chanson de Roland et analyse le poème selon une autre pratique médiévale qui fut privilégiée par les exégètes du temps : la théorie des quatre sens de l'Écriture. Cette pratique, instaurée par les Docteurs et les Pères de l'Église, permet une compréhension du texte en fonction de quatre sens (littéral, allégorique, tropologique et anagogique). Le lecteur peut accéder à une lecture enrichie de différents niveaux de sens qui deviennent de plus en plus complexes à mesure qu'ils sont franchis. Même si la théorie des quatre sens favorise l'analyse de l'Écriture sainte, elle ne se limite pas exclusivement aux textes bibliques. Elle peut être appliquée à des textes laïques et dévoiler un horizon herméneutique beaucoup plus large que ce à quoi on pourrait s'attendre initialement. Cette théorie permet également de se pencher sur la question des différents publics au Moyen Âge. La hiérarchie des sens ouvre sur la possibilité de faire correspondre à chaque niveau un auditoire précis et de mieux comprendre la diversité des publics de cette époque. Finalement, la théorie des quatre sens met en évidence une herméneutique chrétienne très développée et lève le voile sur un poème résolument rassembleur et obstinément chrétien.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.630 |
Date | January 2004 |
Creators | Lapointe, Mélissa |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://constellation.uqac.ca/630/ |
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