Cette thèse analyse les organisations et les relations sociales qui façonnent les usages de l'eau dans la plaine de la Crau. L'approche inductive et multi-échelle explore les interactions entre acteurs humains et non-humains qui participent au gouvernement et aux pratiques de l'eau. Le travail de terrain s'est focalisé sur les dynamiques de modernisation de l’eau en Crau sur les deux derniers siècles et notamment sur celles de gestion intégrée de l’eau. Un travail d’archives historiques et contemporaines permet de situer les continuités et les discontinuités des formes de gouvernement de l'eau. Une enquête par entretiens et l’observation de réunions professionnelles ou publiques nourrit la réflexion sur les jeux d'acteurs actuels. Les généalogies, le fonctionnement des dispositifs de gouvernement ainsi que les arrangements, contournements ou oppositions qu'ils suscitent, sont analysés dans une perspective constructiviste et historique. Il s’agit ainsi d’une contribution à une political ecology du « premier monde », croisant une approche latourienne avec une étude des manières de gouverner foucaldienne.L’eau en Crau est un objet multifacette sujet à une pluralité d’appropriations. L'irrigation gravitaire de 12 000 hectares de prairies de foin de Crau repose sur un réseau de canaux dérivant l'eau de la Durance depuis 1554, alimenté depuis 1972 par l’aménagement hydro-électrique. L’arrosage établit ainsi une frontière entre la Crau sèche des Coussouls et la Crau humide « productive ». La nappe de Crau est rechargée à plus de 70% par les infiltrations dues à ces pratiques d’arrosage. Depuis les années 1970, le développement industriel, l'agriculture intensive et l'urbanisation ont conduit à une exploitation croissante de cette nappe. Elle approvisionne actuellement 270 000 habitants et est considérée comme vulnérable, notamment du fait de son alimentation dépendante de la production de foin. La nappe fait ainsi l'objet de dispositifs de gestion destinés à protéger la ressource par une démarche territoriale.L’étude de l’articulation des savoirs techno-scientifiques spécifiques avec les manières de gouverner l’eau dans le temps long met en lumière un réseau hétérogène d'êtres et d'objets qui ont interagit pour moderniser l’eau. La « modernité » s'entend ici comme un idéal émancipateur fondé sur une augmentation de l'objectivité, de l'efficacité, de la rentabilité et de la formalisation (Latour, 2004). Cette recherche analyse comment les différentes manières de moderniser l’eau transforment la matérialité même de l'eau. L’étude des constructions matérielles, symboliques ou encore normatives qui sous-tendent et territorialisent les dispositifs de modernisation du gouvernement de l’eau est associée à celle des arrangements, des adaptations et des résistances qu'ils produisent en retour. C'est dans cette tension entre les façons de gouverner et les façons de faire que se situe le cœur et l'apport empirique de la thèse.Trois vagues de modernisation de l’eau sont identifiées à partir du cas de la Crau. A la suite de la Révolution Française, la première vague vise à conquérir et «mettre en valeur» la Crau. L’Etat impose ainsi progressivement un règlement des eaux et soutient la mise en culture des Coussouls par des acteurs privés. Dans les années 1950, la deuxième vague est mise en œuvre pour reconstruire la France. Elle porte un discours d’abondance hydraulique. Depuis les années 1990, une troisième vague met l’accent sur la rareté de l’eau et la vulnérabilité de ses usages et appelle à leur gestion intégrée. La vivisection du dispositif de gestion de la nappe de Crau permet d’explorer son fonctionnement dans son versant formel comme ses pratiques informelles. Les discours de crise de l’eau se révèlent partie intégrante de la gestion. Ils sont déployés pour mobiliser des acteurs historiques et des usagers, les enrôlant dans une nouvelle gouvernementalité avec laquelle ils doivent composer. / This thesis analyzes the institutions and the social relations which shape water use in the Crau plain. The inductive and multi-scale approach explores the interactions between human and non-human actors that contribute to water governmance and practices. The fieldwork focused on the dynamics of modernization in water over the last two centuries and particularly on moves toward integrated water management. Archival work drawing on historical and contemporary sources makes it possible to identify the continuities and discontinuities in manners to govern water. Interviews and the observation of meetings, both professional and public, provide insights into the actual interplay among actors. The genealogy and functioning of governing apparatuses, as well as the ways in which they are adapted, circumvented or opposed in turn, are analyzed using a constructivist and historical perspective. This work thus contributes to a political ecology of the first world by bringing together a Latourian approach with a Foucauldian study of governing manners.Water in the Crau is a multifaceted object appropriated in a number of different ways. the gravity-fed irrigation of 12 000 ha of grassland producing hay in the Crau relies on a canal network that has derived water from the Durance since 1554, and has been supplied since 1972 by the hydroelectric infrastructure. This has resulted in a frontier between the dry Crau (Coussouls) and the “productive” wet Crau. These irrigation practices account for 70% of the volume of the groundwater table. Since the 1970s, industrial development, intensive agriculture and urban expansion have led to an increasing exploitation of groundwater. This water sustains 270 000 inhabitants and is considered vulnerable, particularly as it is artificially sustained by hay production. The groundwater is subject to management apparatuses that aim to protect the resource through a territorial approach.The long term study of the articulation of specific techno-scientific knowledge and manners to govern water highlight the heterogeneous network of actors and objects that interact to modernize water. “Modernity” is understood as an emancipatory ideal based on increased objectivity, efficacy, profitability and formalism (Latour, 2004). This research analyzes how the different manners to modernize water transform the materiality of water itself. The study of material, symbolic or normative constructions underpinning and territorializing the modernization apparatuses of water governance is complemented by the study of arrangements, adaptations and resistance that they generate in turn. The heart of this study, and its empirical contribution, lie in this tension between governing manners and everyday practices.Three waves of modernization of water have been identified from the grounded perspective of the Crau. Following the French Revolution, the first wave aimed to conquer and to improve the Crau. The state progressively imposed water regulation and supported the cultivation of Coussouls by private actors. In the 1950s, the second wave, implemented as part of a project to reconstruct France, emphasized hydraulic abundance. Since the 1990s, a third wave has highlighted the scarcity of water and the vulnerability o users, and called for integrated management. The vivisection of apparatuses of groundwater management considers its functioning in both its formal aspect and informal practices. Discourses of water crises reveal themselves as an integral part of water management. They are deployed to mobilize historical actors and users, by integrating them in a new governmentality within which they have to work.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019IAVF0002 |
Date | 23 January 2019 |
Creators | Auvet, Brice |
Contributors | Paris, Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, Barreteau, Olivier, Meschinet de Richemond, Nancy |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
Page generated in 0.0018 seconds