"Homme de Papier": Quinze sculptures de papier, dont cinq matricielles faites de carton recyclé, sont l'objet de mon exposition. Quinze cônes: cônes phalliques, éros générateur multiplié et répété. "Homme de Papier", cosmos vivant en perpétuelle régénération. Symbole vivant et sacré du caractère cyclique et dynamique de révolution cosmique.
Il faut voir ma pratique artistique comme une démarche s'inscrivant dans une recherche globale. L'exposition de ces sculptures, (Homme de Papier) c'est d'abord le résultat d'une recherche plastique suivie d'une communication écrite tentant d'établir un parallèle entre l'Homme et son univers. De ce fait, il m'apparaît avoir, à la lumière de ces oeuvres, une plus grand compréhension de l'humain.
Depuis près de 1900 ans, on a toujours connu le papier comme le support privilégié de récriture et de l'oeuvre picturale. Mais depuis environ vingt ans, le papier est lui-même devenu un médium, un matériau plastique. D'abord support des idées et du langage, il devient pour l'artiste contemporain sujet et objet de création; propriétaire autonome de son discours.
Aujourd'hui, la fabrication artisanale du papier se veut un hommage è tous ses artisans, grâce à qui la somme du savoir fut colligée et sauvegardée par ces espèces d'extensions du cerveau humain. Grâce au papier, à récriture, à l'impression et aux livres: la connaissance, le savoir et la culture, richesses incommensurables accumulées par l'humanité toute entière, font désormais partie du patrimoine universel. Le papier a toujours joué un rôle moteur et capital dans révolution de l'humanité, dans tous nos dispositifs de savoir et de pouvoir.
L'histoire de l'univers, de la terre, de l'homme, c'est aussi l'histoire de "Homme de Papier". L'histoire du monde, de l'homme a un sens. Teilhard de Chardin dans sa théorie de révolution le démontre clairement. Ce grand scientifique, paléontologue et philosophe, se pose la question: quelle est la place de l'homme sur la terre, quel est son rôle et quel est son destin?
Il y eut d'abord un progrès dans l'organisation de l'inanimé, des atomes aux molécules plus complexes, (pré-vie) dont le sens était de préparer la vie. Puis, tout a changé d'ordre brusquement: le "pas de la vie" fut franchi. Imperceptiblement la vie a évolué; la cellule comme l'atome se sont préparés à leur tour. Des organismes plus complexes et mieux doués "psychiquement" sont apparus: ainsi se préparait l'Homme. L?Homme dont la nature est le couronnement de cette même nature dont il est solidaire, qu'il domine et organise en lui donnant un sens. "Homme de Papier", à la fois fragile et puissant, en perpétuelle évolution. Artisan de sa propre ascension psychique ou de sa déchéance progressive. Chaque atome si petit soit-il, rayonne au moins la valeur de son volume. Si chacun des atomes, les uns près des autres, rayonnent chacun leur volume, il y a nécessairement interaction. Dans mes sculptures, ces arbres de vie, ces cônes du temps, le seul moyen pour un élément de se rapprocher des éléments voisins est de resserrer le cône et de faire mouvoir vers le sommet ce fourmillement individuel. Mais, il y aura toujours ces abîmes se creusant entre les cimes, ces inévitables souffrances, cette possibilité apocalyptique pour l'humanité de s'annihiler. Cependant, comme l'infiniment petit, la planétarisation ne peut qu'avancer un peu plus dans le sens d'une unanimité grandissante. Plus complexe, l'humanité entière émerge au coeur d'un système toujours plus vaste d'éléments plus nombreux et mieux organisés. Elle cherche le sommet du cône aspiré par une force, par un Absolu qui la transcende.
"Homme de Papier" témoigne de la nécessaire résurgence cyclique. L'arbre est le lien indispensable entre la terre où il plonge ses racines et l'air qu'il touche de sa cime. La survie de l'homme est indissociablement liée à la survie de la forêt. Quinze sculptures morphologiquement humanoïdes, arborescentes, ovoïdes; à la fois utérines et phalloïdes à base circulaire. Cinq objets matriciels faits de milliers de petits cartons recyclés qui ont engendré des sculptures faites de papier-matière (de l'abaca) teint intégralement ni de noir (5) et couleur chair (5). Cône matrice, creux utérin, cavité où la vie prend forme, où se développe le foetus. Cône phallique, éros générateur, géniteur, qui répète. Cône thanatos, ogival, cône momie, sclérose de la vie. Cône volcan du magma contenu, là où les pulsions incandescentes surgissent des entrailles de l'inconscient. Cône recueillement, gravité bénédictine de l'orant. Permanence, pérennité du menhir. Supplique, ronde incantatoire du derviche tourneur. "Homme de papier", cosmos vivant en perpétuelle régénération. Cartons recyclés, imbriqués les uns aux autres. Geste mille fois répété pour marquer un rythme, une suite, un aboutissement. Patience dans le temps, dans la gestation du monde, dans la continuité de l'univers. Recréer, tisser sa structure, son mouvement.
Papier-matière: molécule, fibre et verbe. Papier-mémoire de l'humanité, papier témoin de l'homme, moteur de sa fulgurante évolution, intellectuelle et psychique. Artiste/Dieu qui dans l'agitation créatrice voit surgir du limon de fibres indifférenciées une image miroir, une direction, une création. A partir de l'organique, la matière prend sens, s'organise, parle. Le papier-matière en formation devient un centre atomique moléculaire de l'univers. Comme celui-ci, le papier-matière est traversé d'un courant qui le contraint à produire de l'ordre, à organiser le cosmos. Le papier est mû par une énergie lui permettant d'évoluer vers plus de conscience. Il apparaît vibrant, chaud, potelé, ridé, docile, disponible, doué de virtualités insoupçonnées.
Mes sculptures de papier/chair, évoquent la chaleur originelle qui a permis l'incubation cosmique de sortir du chaos initial. Agent de renaissance, de vie et de communication. Energie qui fait mûrir biologiquement et spirituellement.
Papier/noir, noirceur des ténèbres abyssales des eaux profondes qui précèdent la création, réservoir de toutes choses, mais surtout de la vie latente. Ventre de la terre, matrice du "si le grain ne meurt". Blessure, ouverture pour atteindre le caché, l'anima, l'inconscient, la source, la nuit qui inspire. Connaître la nuit et revenir à la purification spirituelle où l'inconscient se libère, où la germination, riche de toutes les virtualités de l'existence éclate en manifestation de vie. Papier fragile, papier tressaillement porteur d'espoir renouvelé. Floraisons spiralées qui sortent du point originel et qui se prolongent à l'infini, reliant ainsi les deux extrémités du devenir.
Le concept "Homme de Papier" dévoile la nécessaire obligation pour tous les êtres pensants de travailler de toutes leurs forces pour atteindre individuellement et collectivement le sommet du cône. "Homme de Papier" suit l'Homme dans sa marche qui l'élève de son essence brute et élémentaire jusqu'à cette montée transcendante. Le chemin est-il difficile, l'issue est-elle incertaine, est-il question de progressions lucides ou de déchéances dans l'obscurité?
"Homme de Papier", complexe comme l'univers, comme la vie. Complexe comme l'Homme qui approche du mystère ou de la révélation, comme l'artiste, il capte et transmue la substance pour la projeter dans l'infini de l'espace.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.1433 |
Date | January 1992 |
Creators | Bergeron, Édith |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://constellation.uqac.ca/1433/ |
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