Dans les villes moyennes de Garoua et Maroua, au Nord et à l’Extrême Nord du Cameroun, on dit des « chefs », soit des détenteurs de l’autorité à l’échelle d’une famille, d’un quartier, de la cité ou autrefois d’un royaume, qu’ils doivent être « comme des grands tas d’ordures ». Ce proverbe situe ainsi les relations de pouvoir et l’exercice de l’autorité dans un rapport particulier avec la gestion des déchets : le chef doit se montrer patient et hiératique comme un grand dépotoir, lorsqu’il reçoit toutes les insultes et les plaintes de ses sujets comme autant d’immondices ; mais, selon un registre ésotérique développé par les religions locales puis repris dans le cadre musulman, on attend aussi qu’il fasse preuve de la même puissance, magique notamment, que celle dégagée par une grande et ancienne accumulation de déchets. Les conceptions locales des excrétions corporelles, des objets déchus et des restes des activités du quotidien font en effet du contrôle et de la manipulation des déchets un élément majeur d’une « gouvernementalité » (Foucault) particulière. Celle-ci s’opère via des « techniques du corps » et des « techniques de soi » spécifiques autour du détachement entre soi, ses déchets corporels et ses possessions matérielles. L’analyse généalogique des discours et des pratiques de gestion individuelles et institutionnelles des déchets depuis la fondation des deux villes au XVIIIe siècle jusqu’au début du XXIe siècle, marqué par la privatisation de ce service public, permet alors de saisir comment les tas d’ordures dans ce contexte peuvent être considérés comme de véritables « dispositifs de pouvoir » et le contrôle des immondices comme un instrument puissant de gouvernement de soi et des autres. / In the middle-size cities of Garoua and Maroua in Northern Cameroon, it is said that “chiefs”, those having authority over a family, a town quarter, a city or, formally, a kingdom, should be « like great trash piles ». This proverb thus posits a privileged link between authority and the exercise of power, and the management of waste: a chief should adopt a patient and hieratic attitude towards the insults and complaints he receives from his subjects like so much filth; but also, in keeping with an esoteric understanding developed by local religions and taken up within an Islamic framework, he is expected to exhibit the magical and other powers that are held to arise from large and ancient heaps of rubbish. In the light of local conceptions relating to bodily excreta, refuse and the residues of daily activities, the control and handling of rubbish appears as an essential component of a distinctive “governmentality” (Foucault). The latter operates though specific “techniques of the body” and “techniques of the self” aimed at disentangling oneself from one’s bodily and material waste products. A genealogical analysis of the discourses and practices of individual and institutional waste management, since the founding of these two cities in the 18th century to the privatisation of this public service at the beginning of the 21st century, shows how, in this context, trash piles act as veritable “devices” of power, and the control of filth as a powerful instrument for governing the self and others.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2014PA100142 |
Date | 02 December 2014 |
Creators | Guitard, Emilie |
Contributors | Paris 10, Houseman, Michael, Seignobos, Christian |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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