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République Atlantique : double conscience, liminalité et modernité/colonialité à la fin du XVIIIe siècle (1754-1788)

1767. Chartres. Jacques-Pierre Brissot de Warville à treize ans, et il vient d'avoir une révélation. Un de ses camarades de classe avec du talent et des idées lui avait fait rencontrer la modernité. Elle s'appelait Corneille, Racine, Voltaire, Diderot, et surtout Rousseau. La Profession de foi du Vicaire Savoyard lui avait ouvert les yeux sur les préjugés et sur la nature humaine. Brissot était devenu en soi et pour soi un sujet moderne. 1777. Paris. Brissot a abandonné sa carrière d'avocat pour celle d'homme de lettres. Il s'était tourné vers Voltaire et d'Alembert afin d'y trouver un appui, mais en vain. Malgré tous ses écrits et ses efforts, il ne parvenait pas à percer dans la République des lettres qui lui promettait pourtant la liberté, l'égalité, la solidarité, l'indépendance, la vérité et la raison. Dans l'indifférence des plus grands, il vivait sur le seuil, ni entièrement inclus, ni totalement exclu. Le jeune philosophe s'était brûlé les ailes à l'appel des Lumières, et était tombé dans le monde de la bohème littéraire. Pour Brissot, les portes du Parnasse étaient restées fermées. Et pour cause. La République des lettres avait été incorporée dans la société française d'Ancien Régime, et reproduisait en son sein la distinction et le privilège. L'identité de Brissot était aussi fracturée, lacunaire et irrésolue que sa modernité. La République des lettres l'avait intégré en principe, mais exclu en acte, et l'image d'aventurier littéraire qui lui était renvoyée ne correspondait pas à celle du philosophe qu'il se faisait de lui-même. En plus d'avoir été séduit par le discours de la modernité, il en portait la marque, celle de la « double conscience ». Brissot était un sujet excepté, liminal, méplacé socialement et psychiquement. Brissot était étranger à lui-même et à sa propre société. 1784. Brissot sort de la Bastille, et doit faire le deuil de sa carrière de philosophe. Mais le sens de la modernité pour lui n'était pas mort. Il poursuivait sa quête d'identité à travers d'autres milieux. Ceux-ci furent pour lui des milieux du passage, des milieux dans lesquels retrouver du lien et du lieu, résoudre sa double conscience, entreprendre sa « régénération », des milieux dans lesquels la République et lui-même comme sujet moderne ne furent pas un mensonge, mais réellement existants. Sa République se réalisait à travers la franc-maçonnerie, le commerce et l'abolitionnisme. En pratique, son espace était l'Atlantique et la société française d'Ancien Régime, son temps celui du surgissement et du kairos. En principe, c'étaient l'univers et le Progrès. L'histoire de Brissot est celle d'une déprise vis-à-vis de la colonialité monarchique, une tentative de subvertir le méplacement par le déplacement psycho-social et spatial, de poursuivre depuis les marges de la société d'ordres sa quête d'ascension sociale, de fortune, de gloire, d'identité, de bonheur. Mais son salut passait par d'autres altérités. Il y avait le genre humain, les Occidentaux et les autres. Il y avait des semblables, des égaux et des malheureux. Il y avait une autre modernité, et à son revers, une autre colonialité. Dans ce travail, Brissot aura entre autres pour compagnons de route William Edward Burghardt Du Bois, Jacques Lacan, Giorgio Agamben, Norbert Elias, Paul Gilroy, Robert Darnton, Walter Mignolo, et pour le fin mot de l'histoire, Walter Benjamin. / Jacques-Pierre Brissot was born in 1754 in Chartres, France, as a commoner but called himself Jacques-Pierre Brissot de Warville, adding a distinctive particle to his name so he would be recognized as a man of distinction. This decision marked his entry into the Parisian literary circle. He was a cultured man of modest origins attracted by the intellectual movement of the Enlightenment, seduced by modernity and his own ideals. He longed to follow in the footsteps of Voltaire and d'Alembert and become recognized as a man of letters. But society was there to remind him that there was a threshold called “privilege”, which kept him from fulfilling his desire and acquiring the position he craved for. The story of Brissot is that of the double consciousness, generated by the psychological tension of being caught between two social classes, a superior one which rejected him and an inferior one from which he was trying to escape. He felt misplaced, a stranger to himself and within his own society. He could not accept this status. He tried to resolve this by travelling, hoping to gain access to the new identity that the Enlightenment had embedded in him. The psycho-social resolution of his quest took place in the multifaceted Atlantic Republic, taking into account the abolitionist transatlantic movement, the Freemasonsʼ influence and the rise of a new commercial market culture. But this Atlantic Republic was also the time-space of a new ascendancy: an another world tainted by colonialism and its many repercussions, emerging from Brissot's vision on the modern world lying behind his words and gestures.

Identiferoai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/68062
Date25 February 2021
CreatorsCoursin, Régis
ContributorsDrainville, André C.
Source SetsUniversité Laval
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
Typethèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat
Format1 ressource en ligne (ix, 792 pages), application/pdf
CoverageEurope, 18e siècle.
Rightshttp://purl.org/coar/access_right/c_abf2

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