Mémoire numérisé par la Direction des bibliothèques de l'Université de Montréal. / L'Uruguayen Eduardo Galeano, journaliste de formation, est également l'auteur d'une vaste production littéraire qui l'a fait connaître sur le plan international. La Canción de nosotros (1975), sujet de notre étude, est une œuvre de fiction qui incorpore des extraits d'une compilation de documents historiques remontant au XVIIe siècle, laquelle a été construite à partir de textes portant sur l'Inquisition de Lima et des provinces du Rio de La Plata.
Notre recherche a donc pour but d'étudier les procédés d'emprunt de textes employés par Eduardo Galeano dans l'élaboration de son œuvre. Pour ce faire, nous avons eu recours aux propositions théoriques de Dominique Maingueneau et Graciela Reyes, qui ont abondamment traité cette question. Plutôt que d'aborder l'ensemble de leur théorie, nous avons retenu certains éléments susceptibles de faire avancer notre analyse.
Dans le premier chapitre de notre recherche, nous examinons les composantes du texte incorporé afin de mieux évaluer les modifications subies par le changement de contexte - passage d'un contexte historique à un contexte littéraire. Mentionnons tout d'abord qu'il s'agit de documents historiques couvrant une longue période, c'est-à-dire allant de 1569 à 1820. Par ailleurs, dans les écrits historiques, souvent destinés à la compilation de faits et de dates, l'aspect véridique semble dominer aux dépens du style. Aussi, il importe de souligner le caractère juridique de ces textes portant précisément sur le Tribunal du Saint-Office de l'Inquisition.
Dans le deuxième chapitre, nous abordons les éléments structurants de La Canción de nosotros, à savoir : le contrôle de la parole, la perte de l'identité, la violence, les libertés brimées ; bref, autant d'éléments qui renvoient au contexte sociopolitique dans lequel cette œuvre s'inscrit. Il faut savoir que l'œuvre consiste en plusieurs récits qui racontent le quotidien de gens vivant dans la peur entretenue par un régime dictatorial.
Le troisième chapitre est consacré à l'étude de la structure narrative de l'œuvre. Cette structure se caractérise par une volonté de laisser les personnages raconter les faits, en rendant le lecteur témoin de leur discours, de leurs réflexions, de leurs souvenirs et de leurs états d'âme. Nous remarquons aussi que jamais les autorités n'ont la parole.
Le quatrième chapitre porte sur l'analyse du discours, laquelle nous a permis d'établir les rapports que l'Histoire entretient avec la fiction. Nous évoquerons ici le travail de sélection des documents historiques, qui constitue la première étape de la manipulation. À cet effet, il convient de mentionner que les documents choisis par Eduardo Galeano proviennent de deux œuvres élaborées à partir d'une compilation de données historiques, effectuée par José Toribio Medina, avocat chilien. Ainsi, à partir de ces œuvres, l'auteur a procédé à son tour à une sélection de fragments qu'il a extraits à différents endroits et qu'il a réunis pour former un récit, lequel comporte sept chapitres. L'étude de ce travail de reconstruction (qu'un tel exercice suppose) s'est avérée des plus intéressantes, particulièrement en ce qui a trait au procédé d'intégration dans une œuvre dont le contexte historique diffère tout autant que le contexte de production. Cette analyse nous a donc permis d'identifier les mécanismes par lesquels l'insertion du texte cité déplace le discours historiographique, et de voir comment l'ensemble de ce texte est régi, comment se présente sa structure. Nous remarquons que l'insertion du texte historique est telle que ce dernier s'intègre très bien dans la progression thématique de l'œuvre. Notons que le passage de l'œuvre situé avant l'insertion sert ici de préambule pour préparer le lecteur, d'une part, à l'ambiance de répression et, d'autre part, à une structure fragmentée. Nous abordons également les mécanismes d'intégration qui laissent supposer une volonté d'ajustement entre le récit historique et le contexte, et qui rendent possible l'enchaînement passé-présent. Cet enchaînement élémentaire est d'autant plus important qu'il permet d'assurer la continuité et la cohérence dans la succession des événements qui constituent la diégèse de l'ensemble du récit.
Initialement, la juxtaposition de textes traitant de la dictature et de l'Inquisition provoque des équivalences thématiques produites par la notion de répression qu'évoquent ces institutions. Toutefois, le texte cité se prête à une multitude d'interprétations. Il faut donc éviter les réductions immédiates et aller au-delà de ces équivalences. Dans ce sens, les résultats de notre analyse nous ont permis de tirer un bon nombre de conclusions à l'égard des différentes fonctions de l'Histoire dans l'œuvre.
La présence de liens étroits entre les deux textes suggère, entre autres, une continuité historique. Nous constatons que ces liens sont sous-tendus dans le texte par quatre axes structurants, regroupés autour du thème de la répression. Le contexte nous apparaît donc intimement lié à la structure de l'œuvre. En fait, que l'on se place sur le plan de renonciation ou de l'énoncé, il semble que nous soyons en présence des mêmes idées principales : la persistance d'un phénomène répressif dans cette région du monde, et l'absence d'une voix dans le discours historique officiel, en l'occurrence, celle du peuple.
Enfin, La Canción de nosotros présente une structure fragmentée qui, de ce fait, interpelle le lecteur en le soumettant à un véritable exercice de reconstitution des faits. Les documents historiques que contient cette œuvre représentent une sorte de miroir où se reflète la condition de chacun des personnages. Le rôle de ces documents nous apparaît fondamental, puisque leur présence laisse place à d'autres versions de l'Histoire, et favorise une réflexion, voire un questionnement quant à l'Histoire officielle. D'autre part, nous nous devons de nuancer cette conclusion, car nous savons que le choix du texte cité, ainsi que la manipulation qu'il subit, confèrent à l'œuvre un caractère subjectif. Mais au-delà de ce constat, n'y a-t-il pas lieu d'évoquer aussi la dimension objective de l'œuvre, qui se traduit dans la représentation de la réalité sociopolitique que l'on y retrouve?
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/33142 |
Date | 12 1900 |
Creators | Hébert, Marie-Claude |
Contributors | Sarfati-Arnaud, Monique |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | Spanish |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
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