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Les dépossessions romanesques : lecture de la négativité dans le roman moderne québécois (Anne Hébert, Gabrielle Roy, Réjean Ducharme)

Cette thèse de doctorat propose de relire par le biais de la dépossession la façon dont certains romans modernes québécois expriment leur négativité. Notre recherche part du constat que le roman qui s’est écrit au Québec a souvent détenu un statut problématique aux yeux de la critique, comme si, pour être pleinement romanesque, il lui manquait sans cesse une composante essentielle du genre, que ce soit l’amour (Michel van Schendel), la maturité (Gilles Marcotte) ou encore l’aventure (Isabelle Daunais). Malgré leur diversité, certaines des critiques adressées au roman québécois auraient en commun d’avancer qu’au contraire de ce que l’on observe dans le roman européen, la transformation serait absente du corpus. Pour notre part, nous nous sommes demandé si la transformation du personnage, qui est souvent annoncée, mais que les oeuvres évitent effectivement, serait liée à autre chose qu’à l’ascension sociale propre au roman réaliste, à partir duquel on a beaucoup lu le roman écrit au Québec. L’hypothèse principale de cette étude est que si le personnage de certains romans ne se transforme pas entre le début et la fin des oeuvres, c’est parce que sa transformation n’est pas présentée comme un idéal à atteindre, mais qu’elle incarnerait plutôt une étape dans le processus de dépossession qui est le sien et que, dès lors, l’enjeu des oeuvres serait justement de raconter sa résistance. La thèse entend montrer que la situation existentielle explorée par le roman moderne québécois est presque toujours celle de la dépossession comme condition humaine, que c’est une question que le roman travaille de façon ontologique plutôt que sociohistorique. Après avoir passé en revue quelques romans canadiens-français d’avant 1945, l’analyse se concentre sur trois romanciers de la modernité québécoise : Anne Hébert, Gabrielle Roy et Réjean Ducharme, dont les oeuvres problématisent différents aspects de la question sous l’angle existentiel. Dans les romans autodiégétiques de Hébert, les narrateurs luttent contre la dépossession en prenant la parole, dans le but de se réapproprier leur histoire, mais ils se butent au dialogisme du roman : leur récit est toujours contaminé, envahi par la voix du dépossesseur, même lorsque ce dernier s’est retiré de l’histoire. Chez Roy, c’est le réalisme de la vie ordinaire, associé au temps, qui dépossède les héros moins de ce qu’ils sont que de ce qu’ils auraient pu être. Face à ce processus, les personnages cherchent à se ménager des espaces qui seraient épargnés, en ce sens que ces espaces enchantés où ils projettent leurs rêves et leurs souvenirs sont les seuls éléments qui échappent au processus de dépossession qui les affecte. Dans les romans de Ducharme, c’est le passage de l’enfance au conformisme du monde adulte qui menace de déposséder les personnages de leur identité, et les héros y résistent en élaborant des utopies négatives, par lesquelles ils défendent leur unicité face au roman qui cherche à faire d’eux des « types ». Enfin, l’analyse de la dépossession par le biais de l’ontologie romanesque aura aussi permis de constater que dans les oeuvres à l’étude la question se double d’une dimension formelle : la dépossession se rejoue constamment entre l’oeuvre et ses personnages, lesquels sont en lutte contre les romans, qui inscrivent ainsi cette négativité au coeur de leur poétique pour en faire une dépossession romanesque. / This doctoral dissertation seeks to revisit, through the lens of dispossession, the ways in which certain modern novels by Quebec authors express negativity. This research stems from the observation that novels written in Quebec have often been viewed as problematic by critics, who tend to deem them lacking in an essential element to be truly novelistic—be it love (Michel van Schendel), maturity (Gilles Marcotte), or adventure (Isabelle Daunais). Though diverse, some of the criticisms aimed at the Quebec novel seem to share a common thread: they all suggest that contrary to what can be observed in the European novel, the corpus is devoid of the concept of transformation. This thesis, on the other hand, wishes to examine whether character transformation—often impending but indeed ultimately skirted in these works—could be found elsewhere than in the social climb that is central to realist novels, which have long served as a reference against which novels written in Quebec are read. The central argument of this study is that the reason why the protagonists of several novels fail to transform between the beginning and the ending is that transformation isn’t an ideal they covet, but rather a stage in their journey towards dispossession. From this perspective, it becomes apparent that the fundamental issue underlying these works is the protagonist’s resistance itself. This thesis aims to show that the existential predicament investigated by the modern Quebec novel—from an ontological rather than a sociohistorical point of view—is almost always that of dispossession as a human condition. After surveying several French-Canadian novels published before 1945, three modern Quebec novelists will be examined more closely: Anne Hébert, Gabrielle Roy, and Réjean Ducharme, whose works bring into play various aspects of the question from an existential standpoint. In Hébert’s autodiegetic novels, the narrators struggle against dispossession by speaking up, in the hopes of reclaiming their narrative, but they are undermined by the novel’s dialogic nature: their account is constantly tainted by the voice of the dispossessor, even one who has withdrawn from the story. In Roy’s work, the realism of everyday life and its relation to time is what dispossesses theprotagonists, not so much of what they are, but of what they might have been. Faced with this threat,the characters attempt to create spaces that will be spared. The enchanted spaces where they project their dreams and memories are the only ones that will remain sheltered from the dispossession that falls upon them. In the novels of Ducharme, the transition from childhood to the conformity of adult life is what threatens to dispossess the characters of their identity. His protagonists resist this by developing negative utopias where they defend their singularity against the novel, which attempts to reduce them to “types.” This analysis of dispossession through the lens of novelistic ontology leads to the observation that in the studied works, the issue pertains to literary form: dispossession is constantly reiterated between the work and its characters, who struggle against the novel itself, thus placing this negativity at the very heart of the genre and making it a specifically novelistic dispossession.

Identiferoai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/67966
Date26 April 2021
CreatorsNoël, Alex
ContributorsDumont, François, Nardout-Lafarge, Élisabeth
Source SetsUniversité Laval
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
Typethèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat
Format1 ressource en ligne (xii, 429 pages), application/pdf
Coverage20e siècle
Rightshttp://purl.org/coar/access_right/c_abf2

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