Les femmes des milieux urbains d'Afrique de l'Ouest font face aux impacts de la restructuration économique et politique globale en développant des stratégies associatives et économiques pour assurer la survie de leurs maisonnées. Notamment, elles se servent de leurs réseaux de solidarité, à partir desquels elles forment des « groupements d'intérêt économique », et investissent des secteurs de l'économie dite informelle, à l'aide de systèmes formels et informels d'épargne et de crédit. Ces pratiques de solidarité et ces stratégies économiques s'élaborent et se transforment dans un contexte où la recherche de ressources pour la survie matérielle et sociale est une préoccupation quotidienne. Or, les organisations non gouvernementales (ONG) de développement ayant accès à des fonds d'aide au développement sont perçues comme une des principales sources possibles de ressources monétaires et techniques. En conséquence, beaucoup de groupes de femmes se forment et adoptent en partie des modes d'organisation destinés à maximiser leurs chances de réussir à «trouver un bailleur de fonds », à s'inscrire dans une relation de développement.
Or, il se trouve qu'une partie croissante de l'aide accessible aux femmes des milieux populaires des grandes villes du Sud se présente sous la forme de micro-crédits. Je tenterai de montrer dans ce mémoire que cela n'est pas anodin. En effet, le micro-crédit destiné aux femmes est présenté par les grandes institutions internationales du développement, dont la Banque mondiale, comme un outil de lutte contre la pauvreté. Mais les discours sur la pauvreté et sur le micro-crédit émis par la Banque mondiale et par d'autres institutions qui s'inspirent de son leadership, semblent cadrer parfaitement avec les grandes orientations économiques et politiques qui ont produit un appauvrissement massif des populations des pays du Sud depuis le début des années 1980. Ce mémoire s'intéresse donc à trois dimensions de la relation de développement. D'une part, la vie quotidienne, la créativité et l'agencéité des acteurs locaux, ici des groupes de femmes des milieux populaires urbains d'Afrique de l'Ouest. D'autre part, la restructuration économique menée et imposée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), la teneur et la portée de ses discours et de ses politiques. À l'interface de ces deux réalités, la relation de développement telle qu'elle s'invente et se construit entre d'une part des organisations des milieux populaires et d'autre part des ONG faisant partie, bon gré mal gré, du dispositif de développement.
Pour tenter d'explorer ces questions, je me suis spécifiquement intéressée à des groupes de femmes situées à Dakar et en banlieue de Dakar. J'ai donc réalisé deux études de cas de fédérations de groupements de femmes dans la région de Dakar lors d'un séjour sur le terrain effectué en 2000. J'ai utilisé la méthode ethnographique pour la cueillette des données sur lesquelles se base le présent mémoire. L'analyse de ces données a été faite à partir d'éléments théoriques inspirés de l'étude du développement selon une approche d'économie politique féministe. Notamment, les approches critiques de l'étude du développement en anthropologie ont été une source d'inspiration importante. J'ai aussi tiré plusieurs de mes fondements théoriques du champ de recherche que constitue l'étude féministe des rapports genre dans le contexte du développement. Enfin, j'ai choisi d'articuler l'ensemble de ces éléments à l'aide d'un cadre d'analyse des rapports sociaux de production proposé par l'anthropologue Susana Narotzky dans un ouvrage publié en 1997, «New directions in economic anthropology ». La question de recherche posée est la suivante : comment les relations de développement particulières dans lesquelles s'insèrent les femmes de Serbatim et de l'UGTAD contribuent-elles à modifier la position des femmes dans la structure de la reproduction sociale?
Le texte est organisé selon une division de la réalité sociale en trois champs distincts mais inter-reliés : le champ des structures et de la globalité, le champ du local, des organisations et des catégories sociale et enfin le champ du quotidien et des individus. Cette organisation de l'analyse m'a été inspirée par un article de Marie-France Labrecque paru en 2000, « L'anthropologie du développement au temps de la mondialisation ». Dans un premier temps, j'examine le champ des structures et de la globalité, sous l'angle des politiques d'ajustement structurel et d'éléments de discours émis par la Banque mondiale sur la lutte à la pauvreté et sur le micro-crédit. Dans le même chapitre, j'examine ensuite les problèmes que les femmes vivent dans leur vie quotidienne, où les impacts de la crise économique et les rapports sociaux de sexe sont parmi les principales contraintes auxquelles les femmes font face. Cette analyse m'amène à proposer que la restructuration économique en cours est genrée, qu'elle constitue un transfert accru des coûts de la reproduction sociale aux familles et principalement aux femmes.
Ensuite je m'intéresse au champ du local, dans lequel se construit la relation de développement à l'échelle des organisations et des acteurs collectifs. Dans cette partie du mémoire j'examine l'histoire des deux fédérations des groupes de femmes et la manière dont se construisent les interactions entre les organisations de femmes et une ONG de développement qui les appuie et les encadre. En fait, une des deux organisations que j'ai étudiées a été encadrée et appuyée depuis sa fondation par une ONG, tandis que l'autre organisation s'est constituée dans le but d'éventuellement s'inscrire dans une relation de partenariat semblable. Le contraste entre les deux cas montre à la fois la capacité d'auto-organisation et d'auto-développement des femmes et à la fois le pouvoir structurant de l'intervention de développement. Après cela, je m'intéresse aux groupes membres de ces fédérations, à leurs objectifs et perceptions, à leurs pratiques et aux problèmes qu'ils rencontrent.
Le mémoire se clôt sur une synthèse des éléments qui au fil des chapitres ont contribué à répondre à la question de recherche, en revenant sur des éléments du cadre théorique utilisé, notamment en ce qui concerne les rapports de genre et les rapports sociaux de production, dont la relation capital-travail.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.764 |
Date | January 2003 |
Creators | Beaulieu, Elsa |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://constellation.uqac.ca/764/ |
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