Return to search

Vers une théorie du contre-texte : la subversion formelle dans l'oeuvre de Monique Wittig.

La subversion des formes littéraires apparaît d'emblée à la lecture des quatre livres que Monique Wittig a publiés, entre 1964 et 1985, aux Éditions de Minuit. Dans L'Opoponax, Les Guérillères, Le Corps lesbien et Virgile, non , l'auteur aborde de front des thèmes provocateurs, utilise les pronoms de manière inhabituelle, fond les citations et les dialogues dans le texte, coupe celui-ci à intervalles réguliers par des listes de mots ou de noms, scinde le pronom «je» (j/e) et ses dérivés («m/e», «m/on», etc.), bouscule la syntaxe, invente de nouveaux mots, joue avec les caractères typographiques et bafoue même les règles de ponctuation.

L'objectif ici, en regard de cette subversion affichée, est de saisir son fonctionnement, c'est-à-dire de découvrir ses articulations, sa portée réelle et son originalité, de manière à proposer la notion de «contre-texte». Ce projet représente un défi de taille, dans la mesure où les ouvrages de référence sur la subversion littéraire manquent à l'appel: les recensions de procédés subversifs ou de concepts les concernant n'existent pas encore. En outre, l'oeuvre de Monique Wittig s'avère, à l'examen, beaucoup plus dense et complexe que le ludisme qui caractérise également ses textes ne le laisse paraître.

Dans un premier temps, il s'agit donc de procéder à une enquête historique de manière à repérer les outils et les approches nécessaires à l'analyse de la subversion propre à l'oeuvre de Monique Wittig. Cette enquête cerne les deux stratégies centrales qu'utilise l'auteur, à savoir l'intertextualité et l'interdiscursivité. Mises en lumière à partir des rares théories de la subversion littéraire proposées jusqu'ici, notamment par Mikhaïl Bakhtine et Julia Kristeva, ces stratégies sont alors redéfinies en fonction du corpus. La suite de l'étude porte sur la façon dont elles fonctionnent dans l'oeuvre.

La subversion intertextuelle se manifeste au sein de deux réseaux d'hybridation. Le premier, baptisé hybridation radicale , traverse l'ensemble de l'oeuvre et lie les formes épique et lyrique de manière à trafiquer les pôles architextuels du roman. Le second, appelé hybridation structurale , concerne chaque oeuvre et rassemble des citations diverses de manière à courtcircuiter les structures des genres romanesques canoniques. Si Monique Wittig s'attaque plus particulièrement à la forme du roman, c'est parce que celui-ci accueille l'ensemble des textes de la culture occidentale et occupe désormais un statut dominant sur la scène littéraire.

La subversion interdiscursive apparaît, quant à elle, dans l'élargissement du dialogisme bakhtinien aux pronoms et aux structures narratives, de manière à brouiller les frontières hiérarchiques qui séparent encore les catégories de la personne et les genres littéraires écrits et oraux. Elle permet la décontextualisation des paroles autoritaires et l'articulation de paroles censurées par des personnages normalement stéréotypés ou absents du système de représentation occidental, comme les enfants, les militantes et les lesbiennes.

En combinant ces deux grandes stratégies de l'intertextualité et de l'interdiscursivité, le «contre-texte» formalise un vouloir-savoir, une enquête cognitive. Issu du désir de combler une lacune, une absence de mots, il est lui-même lacunaire, plein de trous entre les courts textes qui le composent, dans les blancs concrets de la page, la disparition des virgules et les interruptions qui le laissent toujours inachevé, ouvert à l'interaction.

Identiferoai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/8821
Date January 2000
CreatorsBourque, Dominique.
ContributorsBourbonnais, Nicole,
PublisherUniversity of Ottawa (Canada)
Source SetsUniversité d’Ottawa
Detected LanguageFrench
TypeThesis
Format225 p.

Page generated in 0.0023 seconds