Notre objectif principal est de démontrer que c'est à cause d'un mauvais départ, de ce que nous appelons plus exactement une aliénation originelle, que la sociologie se voit aujourd'hui menacée de se dissoudre dans la mesure où elle se réclamerait encore de ce qu'elle fut déjà, victime de ce que nous appelons en retour son opérationnalisation contemporaine. Une opérationnalisation qui relève donc essentiellement de l'abandon de sa légitimité première que constitue sa participation à l'histoire de la pensée, au profit de la nouvelle légitimité bien plus efficace du « travail de terrain » qui, pour sa part, bien loin de continuer à se rapporter à la méthode scientifique ou à la « méthodologie » de l'ethnologie, relève désormais de ce que nous considérons être une pure « méthodologistique ».
Et si une « pensée » subsiste alors, ce n'est effectivement plus celle qui correspond à la liberté humaine de faire l'histoire, mais celle qui se rapporte au contraire à la nécessité naturelle de la pure réactivité à l'environnement. C'est-à-dire non plus tant celle qui correspond à la recherche de vérité portée par la raison philosophique aux prises avec le pouvoir politique, que celle qu'exige le seul constat de validité garanti par l'efficience expérimentale immédiatement intégrée au contrôle gestionnaire autonomisé. L'origine du problème, l'aliénation originelle, pourrait alors être résumée de la manière suivante : au lieu de soumettre la science à la société, la science de la société a subordonné la société à la science. Au lieu d'avoir été à elle-même son propre commencement en travaillant à établir une légitimité qui lui serait propre, la sociologie s'est asservie à celle qui était déjà disponible et qu'on lui imposait à moins de lui refuser toute raison d'être. Ce mauvais départ, plus largement, est donc celui d'une discipline appelée par la lutte qui, en retour, n'aurait pas su l'assumer et encore moins la renforcer. Notre travail vise ainsi à expliciter le passage de l'aliénation originelle de la sociologie comme science positive à son opérationnalisation contemporaine comme science tout-terrain, qui, autrement dit, est celui du règne explicatif de la scientificité des « faits sociaux » et de leur récolte, au nouveau règne productif de l'efficacité des « interactions sociales » et de leur mise sous contrôle. Mais dans cette perspective, dans la mesure de l'unité ontologique de la théorie et de la pratique issue du rapport dialectique qui les fonde réciproquement, il va de soi que la mise en relief d'une transformation de la sociologie entendue comme activité théorique suppose en retour certaines considérations relatives à la transformation de la société en tant qu'elle est elle-même à la racine de la pratique humaine dans ce qu'elle a de plus essentiel. Sans parler pour l'instant de la dissolution progressive de cette
« unité dialectique » de la théorie et de la pratique au profit de leur pure « coïncidence immédiate » -selon laquelle la sociologie tend de plus en plus à ne connaître qu'une réalité qu'elle produit immédiatement et vis-à-vis de laquelle elle n'entretient donc plus aucune distance ni objectivité -, ce qu'il faut surtout souligner ici, c'est que de la même manière qu'une rupture dans l'ordre de la réalité sociale et historique est toujours également celle de la discipline qui la prend pour objet, une rupture dans l'histoire de la sociologie constitue d'abord et avant tout une rupture sociologique et historique. Et si c'est donc effectivement une certaine rupture dans l'histoire de la sociologie qui nous intéresse ici le plus directement, nous sommes pour autant forcés de nous tourner vers la rupture sociologique et historique à laquelle elle correspond, à savoir celle qui se voit le plus souvent rapportée à la « post-modernité ». Une rupture « post-moderne » qui, en ce sens, devrait logiquement nous permettre d'éclairer le passage de l'aliénation originelle de la sociologie à son opérationnalisation contemporaine -pour autant qu'en retour, sur la base de sa propre historicité, la sociologie serait en fin de compte le phénomène qui révèle peut-être de la manière la plus explicite cette rupture « post-moderne ». « Un phénomène social, disait fort justement Karel Kosik, est un fait historique dans la mesure où il est examiné comme élément d'un tout déterminé, de sorte qu'il remplit une double tâche grâce à quoi seulement il devient vraiment un fait historique: d'une part, se définir soi-même; d'autre part, définir l'ensemble, en étant à la fois producteur et produit, à la fois déterminant et déterminé, à la fois révélateur et déchiffrement de lui-même, en apportant sa signification propre en même temps que celle d'autre chose. » (Kosik 1970 [1962] : 33). Le phénomène social qui nous concerne ici n'est donc rien d'autre que la sociologie, en tant qu'elle constitue bel et bien une porte d'accès à la compréhension de la réalité socio-historique, humaine, à laquelle elle appartient en même temps qu'elle la détermine. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Histoire, Ontologie, Épistémologie, Méthodologie, Sociologie.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.1035 |
Date | January 2007 |
Creators | Villeneuve, Rémi de |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, PeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/1035/ |
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