L'étude des magmas issus des points chauds est essentielle pour la compréhension de la structure et de la composition des panaches mantelliques et de leurs interactions avec la lithosphère océanique. Jusqu'au début des années 1990, les données sur les îles Marquises ne provenaient que de missions exploratoires. De ce fait, les modèles géochimiques de fonctionnement du point chaud marquisien publiés de 1986 à 1993 ne reposaient que sur un échantillonnage très partiel. Ils ont fortement sous-estimé les interactions entre les magmas issus du point chaud et la lithosphère océanique et négligé la complexité de l'origine des laves évoluées (trachytes et phonolites), parfois très abondantes. Depuis 1995, des études ponctuelles plus précises ont montré que l'évolution géochimique des laves au cours du temps variait considérablement d'une île à l'autre, reflétant l'hétérogénéité à petite échelle du panache ainsi que des interactions lithosphère – asthénosphère complexes. Le programme de cartographie des îles du groupe central des Marquises (Nuku Hiva, Ua Huka, Ua Pou) a été initié par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en 2000. Il a permis l'étude de leurs structures, ainsi qu'un échantillonnage détaillé que nous avons exploité du point de vue pétrologique et géochimique. L'archipel des Marquises repose sur une croûte océanique formée à l'axe de la dorsale Pacifique-Farallon entre 53 et 49 Ma et fortement épaissie sous la partie centrale de l'archipel où le Moho atteint des profondeurs de 15 à 20 km. L'application d'un modèle thermique permet de tester l'hypothèse d'une mise en place rapide d'un épais sous-placage mafique contemporain du volcanisme de point chaud récent exprimé en surface (5,8-0,4 Ma). La subsidence thermique prédite par ce modèle diminue rapidement pendant les trois premiers millions d'années, depuis 250 à 50 m/Ma. Or, des terrasses d'abrasion marine, dont l'origine est attribuée au dernier haut niveau marin interglaciaire daté à 125 ka, bordent toutes les îles des Marquises à 2 m d'altitude. Aucune différence de subsidence n'est observée entre les îles les plus anciennes et celles les plus récentes. Ces observations ne sont pas en accord avec le modèle de subsidence thermique postérieure à un événement de sous-placage récent et sont, par contre, compatibles avec l'hypothèse d'un épaississement ancien dû à la mise en place d'un plateau océanique dans le futur substratum de l'archipel. L'île de Ua Pou est connue de longue date pour l'abondance exceptionnelle de ses phonolites. Sa première cartographie systématique permet une estimation du volume de sa partie émergée (27,5 km3) incluant 18 km3 de phonolites (65 %) mises en place en deux étapes distinctes, 2 km3 d'autres laves intermédiaires et évoluées (8 %) et 7,5 km3 de laves mafiques (27 %). L'île de Ua Pou présente une série alcaline allant des basanites jusqu'aux phonolites avec une distribution bimodale basanites-phonolites très nette, ainsi qu'une lacune de Daly se traduisant par l'absence de phonotéphrites. Les analyses d'éléments majeurs et en trace, ainsi que les isotopes du Sr, Nd, Pb couplés aux données chronologiques (K-Ar) permettent de discuter l'histoire pétrogénétique complexe de l'île. L'activité aérienne de Ua Pou débute vers 4 Ma par la mise en place de tholéiites à olivine dérivant d'une source mantellique de signature HIMU jeune. Elle reprend vers 2,9 Ma avec la fusion partielle d'une source hétérogène à signature dominante EM II + HIMU jeune qui produit des liquides basanitiques primaires. Ces liquides se mettent en place à la fois en profondeur et en surface et évoluent par cristallisation fractionnée pour former les téphrites. En même temps, la refusion en profondeur de ce matériel basanitique produit des magmas téphriphonolitiques en laissant un résidu riche en amphibole. Ces magmas évoluent alors par cristallisation fractionnée pour former des liquides phonolitiques, lesquels peuvent subir une contamination par l'eau de mer. Alors que la production de ces deux types de phonolites continue de façon relativement synchrone avec la mise en place des basanites, de nouveaux processus fonctionnant en système ouvert apparaissent entre environ 2,6 et 2,4 Ma. Ils permettent la formation de téphriphonolites et de phonolites ayant assimilé du matériel de type plagiogranitique à signature HIMU et la genèse de phonolites extrêmement différenciées ayant incorporé du matériel de la croûte océanique à signature DMM. Ainsi, l'île de Ua Pou peut être considérée comme un exemple typique de série intraocéanique dans laquelle la prédominance des laves évoluées reflète leur origine par fusion partielle de précurseurs mafiques suivie de la contamination crustale plutôt que par cristallisation fractionnée. L'île de Nuku Hiva est constituée de deux volcans emboîtés : le volcan-bouclier externe (volcan du Tekao) formé de tholéiites à olivines et le volcan interne de Taiohae présentant une série alcaline continue depuis les basaltes jusqu'aux trachytes. Il existe d'importantes différences géochimiques entre ces deux volcans, le premier présentant une signature à tendance DMM et le second une signature de type EM II prédominante. Cette dualité est attribuée à des variations des taux de fusion partielle d'un manteau-source hétérogène. Au sein du volcan interne, les laves intermédiaires (hawaiites et mugéarites) dérivent des basaltes par cristallisation fractionnée sous forte pression d'eau, dominée par le fractionnement de l'amphibole en proportions importantes (jusqu'à 25%). L'origine des laves évoluées (benmoréites et trachytes) de Nuku Hiva demeure problématique. Leur signature isotopique très différente de celle des basaltes et laves intermédiaires du volcan interne amène à envisager 1) la cristallisation fractionnée des magmas mafiques-intermédiaires couplée avec l'assimilation de matériel océanique à signature fortement EM II ou 2) leur origine par fusion partielle de précurseurs mafiques non échantillonnés sur la partie aérienne de l'île. Ainsi, l'île de Nuku Hiva montre que les signatures géochimiques des laves varient au cours du temps. Cette île peut être considérée comme un exemple typique de série intraocéanique dans laquelle l'évolution des laves est contrôlée par des processus de cristallisation fractionnée sous forte pression d'eau et l'origine des laves évoluées met en évidence des interactions lithosphère-asthénophère complexes. Le modèle de point chaud le plus adéquat pour rendre compte de la forte hétérogénéité géochimique des Marquises est celui d'un panache très hétérogène contenant des éléments de signature de croûte océanique subductée (HIMU) et de sédiments terrigènes (EM II) répartis de façon aléatoire. Au terme de sa remontée, le panache incorpore du manteau sublithosphérique appauvri (DMM). Cette signature DMM peut également refléter soit la fusion de la base de la lithosphère océanique au-dessus du panache, soit des interactions entre les magmas ascendants et les roches de cette lithosphère. Les variations des taux de fusion partielle et l'interaction entre les liquides basaltiques et la croûte océanique au sein de réservoirs intracrustaux permettent également de rendre compte de l'hétérogénéité des laves au sein d'une même île. Bien que ces effets ne soient pas documentés pour l'ensemble des îles de l'archipel, il est possible de supposer que l'essentiel de l'hétérogénéité géochimique des laves des Marquises résulte du mélange en proportions variables des trois pôles mantelliques EM II, HIMU et DMM. En faisant l'hypothèse que le panache contient uniquement les pôles EM II et HIMU et que le pôle DMM seul est contenu dans la partie crustale de la lithosphère océanique, il est possible de faire un modèle de mélange entre ces trois pôles et en deux étapes : 1) le mélange entre les pôles EM II et HIMU permet d'estimer les proportions de chacun de ces composants dans les liquides issus du panache, 2) le mélange entre ces liquides hybrides et la lithosphère océanique à signature DMM, ce qui conduit à une estimation quantifiée des interactions entre le panache et la lithosphère océanique. Ainsi, la contribution du pôle DMM est dominante pour les îles d'Eiao, Nuku Hiva, Ua Huka et Hiva Oa. Celle du pôle EM II est dominante pour les laves alcalines de Ua Pou alors que celle du pôle HIMU domine à Fatu Hiva et pour les tholéiites de Ua Pou. Pour ces deux dernières îles, la contribution du pôle DMM est la plus restreinte. Pour la majorité des îles, la contribution du pôle DMM est importante ce qui peut indiquer : 1) que le pôle DMM est également présent dans la composition du panache profond, et/ou : 2) que l'incorporation de matériel appauvri DMM modifie considérablement la composition des liquides directement issus du panache. Cette dernière hypothèse est compatible avec celle de l'existence d'un plateau océanique dans le substratum marquisien, dont les roches à signature DMM prédominante interagiraient avec les magmas issus du panache.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00008677 |
Date | 12 December 2003 |
Creators | LEGENDRE, Christelle |
Publisher | Université de Bretagne occidentale - Brest |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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