L'historiographie monastique, les études antérieures consacrées à Auberive et l'organisation topographique du cartulaire ont conduit à l'examen de deux des onze granges créées par l'abbaye cistercienne d'Auberive. Le caractère stéréotypé des quelque 200 chartes du dossier et le traitement statistique des informations qui en découle nous amènent à poser une triple interrogation qui détermine la structure de la démonstration. Comment et â quel rythme les granges ont-elles été implantées et se sont-elles développées dans la vallée de l'Aujon? Quelle fut la nature de l'exploitation et comment a-t-elle évolué? Pouvons-nous enfin saisir l'impact de cette implantation sur la région? En filigrane et coiffant le tout, la question essentielle: l'entreprise auberiveraine dans la vallée correspond-elle toujours à l'idéal économique des Cisterciens? La pénétration de la vallée fut progressive et se déroula en trois étapes: le démarrage (1135-1179); puis, quarante années d'intense activité (1180-1220); enfin, la consolidation (1220-1279). Même s'il faut prendre garde au vocabulaire qui masque souvent les motivations réelles, se dégagent néanmoins les grandes lignes d'un processus de l'appropriation du territoire: les sollicitations qui attirent les donations (55%), l'installation subséquente qui provoque des accrochages, d'où querelles et abandons (36%); cette situation, enfin, fait intervenir les compensations financières (9%). L'analyse des acquisitions et de la production spécifique de la vallée nous amène à conclure que l'économie auberiveraine intégra à la pratique du faire-valoir direct des méthodes d'exploitation seigneuriale et s'ouvrit lentement à une économie de marché. Trois étapes marquent ce changement. De la fondation à 1185, l'idéal cistercien fut respecté: le recrutement fut aisé, nulle dîme ne fut acceptée, etc.; la vallée pourvoit la communauté en laine. L'étape décisive à cet égard se situe entre 1190 et 1220. Quelques écarts à la morale cistercienne sont alors apparus: transactions financières, réceptions de dîme, possession de main-d'oeuvre laïque. L'ouverture d'une seconde exploitation à Pelonqerot accentua la vocation pastorale de la vallée. A partir de 1220, l'abbaye opta définitivement pour une économie ouverte. Les religieux investirent dans l'acquisition de droits et de revenus seigneuriaux. Les troupeaux d'ovins atteignirent une envergure que seule la commercialisation peut expliquer. Cette marche vers la spécialisation et l'exploitation seigneuriale explique en partie le succès économique d'Auberive. D'autres éléments doivent également être considérés. Les appuis d'abord. L'évêque de Langres et son vidame, la famille Saulz-Grancey, traditionnellement allié au duc de Bourgogne, soutinrent Auberive tout au long de sa croissance. Ensuite, Auberive sut tirer au maximum de l'environnement physique en reconnaissant les capacités pastorales de la vallée. Enfin, le succès auberiverain découle d'une administration prévoyante et suivie. Le trait le plus important de la gestion fut la recherche constante de la concentration des biens et la poursuite d'une politique de rentabilité. Les perspectives économiques pour les communautés habitant la vallée de l'Aujon, aux XIIe-XIIle siècles, paraissaient excellentes. Mais l'installation d'une maison cistercienne à Auberive bouleversa le dynamisme de cette région. La pénétration presqu'exclusive des finages, les méthodes particulières d'exploitation (concentration, faire-valoir direct) et la nature même de cette exploitation (élevage) entraînèrent une nette diminution de l'aire économique des communautés aujonnaises. Les paysans furent expulsés et plusieurs localités disparurent. Chevaliers et seigneurs de la vallée ne purent freiner l'élan des Cisterciens. Leur action se limita à négocier des ententes entre leurs hommes et les religieux, au sujet des droits d'usage dans les finages. Bref, la domination auberiveraine sur la vallée fut incontestable. Pénétration, mise en valeur et domination du territoire s'expliquent selon des concepts écologiques. L'agrosystème mis en place par Auberive correspondait très bien aux capacités de l'écosystème aujonnais mais déséquilibra l'agrosystème des communautés de la vallée. Ces communautés, qui ne comptaient que sur un seul agrosystème, résistaient difficilement a une entreprise dont la force économique reposait sur plusieurs agrosystèmes dispersés sur un vaste territoire. / Québec Université Laval, Bibliothèque 2012
Identifer | oai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/28955 |
Date | 25 April 2018 |
Creators | Calfat, Marc |
Source Sets | Université Laval |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | mémoire de maîtrise, COAR1_1::Texte::Thèse::Mémoire de maîtrise |
Format | xvi, 140 f., application/pdf |
Coverage | France, 500-1500 (Moyen Âge), 600-1500 (Moyen Âge) |
Rights | http://purl.org/coar/access_right/c_abf2 |
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