Alors qu’il est interrogé sur la nature fragmentaire de l’écriture se faisant jour dans ses dernières œuvres, Luigi Nono affirme : « la logique du discours est pour moi quelque chose de terrifiant. » En signifiant ainsi son opposition au discours musical, le compositeur italien ne revendique pas seulement le refus du principe de déduction et l’univocité du développement : c’est le fondement même de l’expression musicale occidentale qu’il considère comme caduc. Car la musique écrite appartient aux disciplines du logos, domaine de la pensée et de sa loi d’intelligibilité auquel elle a longtemps été inféodée, même lorsque ses théoriciens ont revendiqué son autonomie. Aussi, la notion de discours musical se rapporte à un modèle de raisonnement hérité de la pensée syllogistique issue de la rhétorique aristotélicienne. Décliné au cours de son Histoire sous les méthodes du contrepoint, du développement ou encore de la variation, le principe d’engendrement causal de la forme révèle néanmoins son aporie à partir de la première moitié du XXe siècle. La génération de compositeurs se retrouvant à Darmstadt au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale se confronte alors à une double difficulté. D’une part, le renouvellement des structures logiques de la musique apparaît comme une véritable urgence afin de libérer l’écriture musicale de la rigidité des systèmes qui l’ont dirigée depuis la fin de la Renaissance. D’autre part, l’avènement des nouvelles technologies dévoile la richesse du phénomène sonore et intime à repenser l’expression musicale au contact de ce matériau inédit qui ne peut se réduire aux procédés compositionnels instrumentaux. Dès lors, l’acte d’écriture s’enrichit d’une responsabilité critique, en ce qu’il doit se satisfaire à l’exigence d’une articulation logique tout en rompant avec la rigidité d’un discours univoque imposé à l’écoute. C’est dans ce contexte que Pierre Boulez et Luigi Nono propose une esthétique musicale mixte fondée sur la virtualité, l’espace et la résonance au cours des années 1980, instaurant un régime discursif unifiant l’hétérogène sans le contraindre ni l’abolir. / When he is questioned about the fragmentary nature of the writing appearing in his last works, Luigi Nono asserts: “the logic of the discourse is something terrifying for me.” By standing against the musical discourse, the Italian composer does not just claim his refusal of the principle of deduction and the univocity of the development: he also considers the foundation of the western musical expression as obsolete. Indeed, written music belongs to the disciplines of the logos, the domain of the thought and its law of comprehensibility in which it was enfeoffed for centuries, even when the theorists claimed its autonomy. So, the notion of musical discourse relates to a model of reasoning inherited from the syllogistic thought of the Aristotelian rhetoric. Declined during its History under the methods of the counterpoint, the development or the variation, the principle of causal establishment of the form reveals its aporia since the first half of the 20th century.Then, the composers who went to Darmstadt after the World War II confront themselves with a double difficulty. On one hand, the renewal of the logical structures of the music appears as an urgency to release the musical writing of the rigidity of the systems which managed it since the end of the Renaissance. On the other hand, the advent of the new technologies reveals the richness of the sound phenomenon and suggest to reconsider the musical expression in order to integrate this material, which cannot be reduced to the writing processes of instrumental music. Therefore, the act of composing is enhanced by a critical responsibility because the composer has to fulfill the requirement of a logical articulation while he abolished the rigidity of an unambiguous discourse imposed on the listening. It is in this context that Pierre Boulez and Luigi Nono propose an electroacoustic aesthetics based on virtuality, space and resonance during the 1980s, establishing a discursive regime which unifies the heterogeneous without forcing it nor abolishing it.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2018REN20056 |
Date | 03 December 2018 |
Creators | Gohon, Kevin |
Contributors | Rennes 2, Bonnet, Antoine |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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