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Variation et changement phonétiques chez les jeunes adultes québécois

L’acquisition d’un second régiolecte (R2) peut être définie comme le processus par lequel un individu géographiquement mobile adapte ses usages linguistiques à ceux en cours dans son nouvel environnement, sans que l’apprentissage d’une nouvelle langue ne soit toutefois en jeu. Typiquement, cette acquisition se produit au niveau phonétique, comme le reflète cette intuition que les personnes qui déménagent «changent d’accent». L’étude scientifique de l’acquisition d’un R2 ne s’est intensifiée que récemment, les travaux antérieurs en linguistique ayant plutôt cherché à décrire les usages de locuteurs sédentaires. En parallèle, la prononciation d’un individu a longtemps été considérée stable passé l’adolescence. Si l’acquisition d’un R2 est un phénomène répandu en raison de l’essor de la mobilité géographique individuelle, ses conséquences phonétiques s’avèrent particulièrement hétérogènes. Les différents travaux consacrés à ce phénomène mettent de l’avant un éventail de facteurs potentiellement explicatifs des résultats variant d’un locuteur à l’autre et d’un contexte linguistique à l’autre. Des facteurs internes comme la régularité des règles à maîtriser, ou externes comme l’intégration du locuteur dans son nouveau milieu ou le souci de demeurer fidèle à ses origines, ont été proposés. Selon l’angle théorique adopté pour en rendre compte, l’acquisition d’un R2 peut être interprétée comme un automatisme, ou encore comme un processus régulé par les caractéristiques de la situation de communication, le rapport du locuteur à l’interlocuteur, la fréquence et la récence des propriétés phonétiques de la parole ambiante, etc. Cette contribution consiste en une étude sociophonétique de l’acquisition d’un R2 en contexte québécois. Plus précisément, 33 locuteurs natifs du français québécois âgés de 18 à 22 ans ont été recrutés alors qu’ils entreprenaient un baccalauréat à l’Université Laval. De ce nombre, 18 étaient des participants mobiles : ils venaient de s’installer dans la ville de Québec pour leurs études, mais étaient originaires d’ailleurs dans la province. Ayant toujours vécu dans la ville de Québec, les 15 autres participants étaient sédentaires. Au moment du recrutement (T1), les locuteurs ont été enregistrés en chambre anéchoïque lors de la lecture de mots cibles isolés ou insérés dans des phrases porteuses. Ces mots cibles présentaient l’ensemble des voyelles orales du français québécois en position accentuée. Ces voyelles ont été analysées acoustiquement : leur durée, ainsi que la fréquence et la dynamique de leurs trois premiers formants (F1, F2 et F3) ont été mesurées. Les participants ont également rempli des questionnaires visant à évaluer leur degré d’intégration sociale, leur appartenance à la phase socio-psychologique d’émergence de l’âge adulte et, pour les mobiles, le souci de fidélité à leurs origines. L’expérience a été répliquée un an plus tard (T2). Les résultats indiquent que de fins changements acoustiques sont survenus au cours du temps. Les différentes catégories vocaliques analysées se sont rapprochées dans l’espace F1/F2. La fréquence de F3 et l’ampleur de la dynamique formantique de certaines voyelles ont diminué. Une réduction des mouvements articulatoires semble ainsi s’être produite. Ces changements sont toutefois survenus chez tous les locuteurs, qu’ils soient mobiles ou sédentaires. Aucun des autres facteurs considérés (intégration, émergence et fidélité) ne s’est davantage révélé apte à les expliquer. En conséquence, nous avons émis l’hypothèse qu’un changement dans la manière dont les participants ont perçu la situation expérimentale était survenu. Quant à l’absence de modifications de prononciation de plus grande envergure chez les locuteurs mobiles, elle pourrait s’expliquer par l’intervalle temporel réduit entre les deux temps d’enquête, le niveau phonétique n’étant pas réputé changer le premier lors de l’acquisition d’un R2. Il est également possible qu’il n’y ait pas suffisamment de spécificités régionales à Québec pour que les locuteurs mobiles procèdent à un changement systématique, sachant en outre que la population locale pourrait ne pas constituer la principale influence linguistique des jeunes universitaires investigués. Les participants mobiles se sont néanmoins avérés conscients de certaines différences entre leurs usages et ceux de leur nouvel environnement, aussi une sensibilité linguistique accrue pourrait jouer un rôle lors d’un changement phonétique. La progression de la compréhension du lien entre la perception et la production pourrait également éclairer les mécanismes en action aux stades initiaux de l’acquisition d’un R2. Nos résultats se joignent à ceux provenant d’un nombre croissant de travaux qui suggèrent qu’une certaine flexibilité phonétique se maintient à l’âge adulte. / Second dialect acquisition (SDA) may be defined as the process by which a geographically mobile individual adapts their linguistic practices to those in use intheir new environment, without learning a new language per se. Typically, this acquisition occurs at the phonetic level, as reflected in the intuitive idea that people who move away “change their accent”. Scientific accounts of SDA have only recently increased in number, as previous linguistic work has mostly focused on the practices of sedentary speakers. At the same time, pronunciation has long been thought to be settled from adolescence on. SDA is a widespread phenomenon given the increasing geographic mobility of individuals, although its phonetic outcomes are especially heterogeneous. Studies addressing this issue highlight the extensive array of factors that might explain why results vary across individuals and linguistic contexts. Internal factors such as the regularity of the rules that need to be learned, or external like the speakers’ integration to their new environment or concern to remain faithful to their origin, have been put forward. Depending on the theoretical perspective, SDA has been interpreted as an automatism, or as a process mediated by various aspects of the communication situation, the relationship between the speaker and their interlocutor, the frequency and recency of the phonetic properties of ambient speech, etc. This contribution is a sociophonetic study of SDA in Quebec. More precisely, 33 native speakers of Quebec French aged 18 to 22 were recruited upon enrollment in an undergraduate program at Université Laval. Eighteen of them were mobile speakers : they had just moved in Quebec City in order to start university, but were from somewhere else in the province. Born and raised in Quebec City, the 15 remaining participants were sedentary. On recruitment (T1), the speakers were recorded in a sound-attenuated booth while reading target words in isolation or inserted in carrier sentences. These target words featured all of the oral vowels of Quebec French in stressed syllable. The vowels were analyzed acoustically : their duration and the frequency and dynamics of their first three formants (F1, F2 and F3) were measured. The participants also completed questionnaires assessing their social integration, belonging to the socio-psychological phase of emerging adulthood and, for the mobiles only, faithfulness to their origin. The experiment was replicated a year later (T2). Results show that fine-grained acoustic changes occurred over time. The vowels moved closer to each other in the F1/F2plane. Frequency of F3 and formant dynamics decreased in some vowels. A reduction of the articulatory movements thus seems to have occurred. However, these changes took viplace in all speakers, whether they be mobile or sedentary. Neither of the other external factors taken into account (integration, emerging adulthood, faithfulness) could explain the changes. Therefore, we hypothesized that the way the participants perceived the experiment had evolved over time. As for the lack of more substantial phonetic shifts in mobile speakers, it could be explained by the short time span between the two experiments, since the first changes taking place during SDA do not usually happen at the phonetic level. Another possibility is that there are not enough dialectal features in Quebec City for the mobile speakers to change systematically, whereas, furthermore, the local population might not even be the main linguistic influence of university students.The mobile participants nonetheless proved aware of differences between their own speech and that of their new environment, suggesting that enhanced linguistic sensitivity may play a role in phonetic change. Further progress in understanding the link between speech perception and production mayalsoshed light on the mechanisms underlying the first stages of SDA. Our results add to those from a growing body of studies evidencing that a certain phonetic flexibility is maintained throughout adulthood.

Identiferoai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/35007
Date27 May 2019
CreatorsRiverin-Coutlée, Josiane
ContributorsRoy, Johanna-Pascale
Source SetsUniversité Laval
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
Typethèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat
Format1 ressource en ligne (xiv, 329 pages), application/pdf
CoverageQuébec (Province)
Rightshttp://purl.org/coar/access_right/c_abf2

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