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Espace urbain et identité : l’imaginaire de la ville comme symptôme de la crise identitaire dans l’oeuvre d’Orhan Pamuk

Istanbul est pour Pamuk ce que Paris est pour Baudelaire : une source inépuisable d’inspiration et de spleen. Or, si le poète est davantage conscient de ses états d’âme, le romancier turc le plus lu des deux côtés du Bosphore ne sait pas toujours que tout discours sur le monde extérieur est un discours sur lui-même. Dans un premier temps, il se complait dans l’hüzün, ce sentiment collectif et généralisé de mélancolie, apparemment intrinsèque à la ville et ses ruines, traces tangibles de la décadence d’un grand empire dont les héritiers peinent à se relever. Il n’en est pourtant rien, car, au fur à mesure que Pamuk suit les traces des écrivains et artistes étrangers de passage à Istanbul, il s’aperçoit que l’apparente mélancolie des ruines n’est qu’une strate parmi d’autres, c’est-à-dire glissante, malléable et fluide, tout dépend de l’emplacement et du point de vue de l’observateur, dans une ville palimpseste qui cache dans ses entrailles toutes les altérités. En suivant les traces de l’altérité, Pamuk découvre la nature hétérogène de sa ville et de lui-même et s’aperçoit que la mélancolie collective est fabriquée de toutes pièces par un certain récit socio-politique et une certaine classe sociale. En effet, c’est en traquant les reflets de son double que le romancier prend soudainement conscience du caractère fuyant de sa propre subjectivité, mais aussi de celui du monde et des autres. Si tel est le cas, l’espace urbain qui préoccupe et obsède Pamuk n’est qu’un reflet de son esprit et l’accès à la présence pleine s’avère une illusion. Comme si, l’inquiétante étrangeté de son inconscient, en lui dévoilant le côté insaisissable du monde et du soi, l’encourageait à remettre en cause un certain nombre d’opinions acquises, non seulement à l’intérieur de sa propre culture, mais aussi dans la culture de son double européen. Car si tout est fluide et malléable, il n’y a pas raison de ne
pas tout questionner, incluant la tradition et la politique, cette dernière faisant de lui, « une personne bien plus politique, sérieuse et responsable que je ne le suis et ne souhaitais l’être ». Ainsi, Istanbul, souvenir d’une ville questionne le rapport entre la subjectivité et les strates hétérogènes d’Istanbul, pour aboutir à un constat déconstructiviste : tout n’est que bricolage et substitut du sens là où il brille par son absence. S’il brille par son absence, il en est de même loin d’Istanbul, dans une maison périphérique appelée La Maison du Silence à l’intérieur de laquelle les personnages soliloques et par moments muets, se questionnent sur le rapport entre la tradition et la modernité, le centre et la périphérie, l’Occident et l’Orient, sans oublier le caractère destructeur et éphémère du temps, mais aussi de l’espace. Et enfin, Le Musée de l’Innoncence, cette oeuvre magistrale où l’amour joue (en apparence seulement) le rôle principal, n’est en fait que l’étrange aboutissement de la quête obsessessive et narcissique du personnage principal vers un autre espace-temps, quelque part entre la réalité et la fiction, entre l’Est et l’Ouest, entre la tradition et la modernité, cet entre-deux qui campe indéniablement Pamuk parmi les meilleurs romanciers postmodernes de notre époque. Or, pour y parvenir, il faut au préalable un bouc-émissaire qui, dans le cas de Pamuk, représente presque toujours la figure du féminin. / Istanbul is for Pamuk what Paris is for Baudelaire: an inexhaustible source of inspiration and spleen. But, if the French poet is more conscious of his states of mind, the most widely read contemporary Turkish novelist seems at first to deliberately disregard the fact that any discourse on the external world is also a discourse about himself. At first, in emulation of other Turkish novelists, Pamuk seems to thoroughly enjoy mapping the hüzün, the much talked about collective feeling of melancholy, reputed to be intrinsic to the city and its ruins. Nevertheless, as soon as Pamuk starts to follow in the footsteps of foreign writers and artists who have visited Istanbul, he notices that the apparent melancholy of the ruins is only one layer among many fluid layers. While following the tracks of the otherness, Pamuk discovers the heterogeneous character of his city but also of himself and notices that the collective melancholy widely accepted by most his compatriots is fabricated by a certain socio-political narrative, within a specific social class. Indeed, by tracking the reflections of his own imaginative twin, the novelist is suddenly aware of the elusiveness of his own subjectivity but also of the world and the others. If such is the case, the urban space that preoccupies and obsesses Pamuk is only a reflection of his mind and the will to fully access to the presence, is nothing but an illusion. As if the disturbing uncanny of his unconscious, by revealing the elusive side of the world and the self, encourages Pamuk to challenge a number of views and opinions taken for granted, inside his own culture but also inside the culture of the other, his European twin. For, if everything is fluid and malleable, there is no reason not to question everything, including tradition and state politics, the latter making him, "a person well more political, serious and responsible that I am and ever
whished to be". Thus, Istanbul: memoires and the city questions the relationship between the subjectivity and the heterogeneous layers of Istanbul in order to come to a deconstructionist conclusion: everything is a substitute; there is a general absence of sense. If the city lacks a tangible raison d’être or sense in its history and topography, then it must be the same in places that are far from Istanbul. Thus central characters in The House of the Silence question not only the very foundation of their identity and subjectivity, but also the relationship between tradition and modernity, center and periphery, East and West, not to mention the destructive and ephemeral nature of time and space. In Pamuk’s most recent novel, The Museum of Innocence, the protagonist engages in an even more obsessive and destructive quest for another kind of space and time — an imaginary in-between space allowing for a seamless traffic between reality and fiction, East and West, and tradition and modernity. This in-between space or identity clearly anchors Pamuk among the most interesting postmodern novelists of our time. But, this in-between positionality, however, can only be attained at a price: Pamuk’s work, illuminating insight or a precarious balance is more often than not achieved through the sacrifice of the female figure.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMU.1866/9183
Date08 1900
CreatorsOmbasic, Maya
ContributorsMonnet, Rodica-Livia
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeThèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation

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