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Les anciens détenus du Goulag : libérations massives, réinsertion et réhabilitation dans l'URSS poststalinienne, 1953-1964

Staline mort, le 5 mars 1953, les membres de son entourage définirent de nouvelles orientations pour le système soviétique dont ils avaient désormais la charge. Une fois les portefeuilles redistribués, ils s'attaquèrent en urgence à l'héritage répressif colossal laissé par le dictateur. En quelques années seulement, ils firent relâcher plusieurs millions de détenus des camps du Goulag. Cette thèse pose le caractère fondamental de ces libérations massives pour les transformations de la société soviétique dans la période dite du " Dégel " et pour la redéfinition du modèle soviétique sous la direction de Nikita Khrouchtchev (Premier secrétaire du Comité central du PCUS de 1953 à 1964). Souvent supposée, la portée des libérations massives n'a jamais fait l'objet d'une étude complète, intégrant tous les prisonniers, et non les seuls " politiques ", et portant sur les aspects sociaux, politiques et pénitentiaires du démontage du Goulag et du retour à la liberté de millions de réclusionnaires. Quatre questions ont guidé cette recherche. Quels desseins présidèrent aux amnisties massives, qui menaçaient d'être impopulaires et qui sabordaient un modèle économique fondé sur le travail forcé des détenus ? Pour comprendre comment les héritiers de Staline en vinrent à démonter le Goulag, il faut interroger les connaissances qu'ils avaient des réalités économiques et sociales du système pénitentiaire, leur hiérarchie des problèmes et les solutions qu'ils avaient à leur disposition pour les résoudre. De plus, il faut faire la part de la prise de risque, favorisée par l'atmosphère de lutte pour le pouvoir qui encourageait les actions hardies chez les membres du Présidium du Comité central en concurrence. Il faut également prendre en compte que les conséquences des libérations massives étaient souvent inattendues, essentiellement parce que les opérations elles-mêmes étaient mal préparées. Enfin, l'époque du " Dégel " est une ère d'expérimentation. En quête de moyens de réactiver le projet socialiste, les dirigeants, Khrouchtchev en tête, croyaient à la nécessité de réformer les criminels pour les intégrer à la société. Deuxième interrogation à la base de ce travail : quel a été l'impact du retour de millions d'anciens détenus sur la société soviétique ? C'est par l'intermédiaire des dispositifs administratifs, policiers et judiciaires que nous accèderons aux conditions de leur réinsertion. Cela commence par l'organisation logistique du rapatriement des multitudes libérées, rendue difficile par l'éloignement de certains centres pénitentiaires géants et l'engorgement des transports. La plupart des anciens détenus étaient astreints à des règles extrêmement limitatives de séjour et d'établissement connues sous le nom de " réglementation spéciale " des passeports intérieurs. D'autres dispositifs, plus lâches, étaient à l'œuvre pour favoriser leur " mise au travail ". Enfin, la répression pénale menaçait les repris de justice. Nous verrons que les libérés vinrent gonfler les marges sociales du chômage, du vagabondage, de la mendicité et de la prostitution, hors d'atteinte des dispositifs susmentionnés. Quelle fut la profondeur de la politique de "réhabilitation" ? La reconnaissance de préjudices infligés à des innocents, hier encore stigmatisés comme les principaux ennemis du régime, est l'un des événements sociopolitiques majeurs du Dégel. Ce travail montre comment les hommes de l'entourage de Staline, qui appliquèrent docilement ses ordres les plus sanglants, en sont venus néanmoins à faire annuler un grand nombre de condamnations pour crimes " contre-révolutionnaires " au nom du retour à la légalité. Il analyse si cette déclaration d'innocence a été suivie de mesures concrètes en faveur des réhabilités et comment étaient traitées les revendications de ceux qui estimaient avoir été injustement stigmatisés et réclamaient de recouvrer leurs biens, leur emploi et leur honneur. Une quatrième et dernière problématique concerne la redéfinition du maintien de l'ordre public. En effet, si les libérations massives du Goulag s'enchâssent dans la thématique du retour des populations déplacées par la contrainte pendant la période stalinienne, elles ne s'y épuisent pas. Le système carcéral a continué à recevoir de nouveaux contingents de prisonniers après la mort de Staline. Dès lors, le contrôle sur les libérations occupait une place primordiale dans le maintien de l'ordre et la lutte contre la criminalité. Les mécanismes optimums de libération des détenus ne pouvaient être inventés qu'en prenant en considération la récidive et généralement les conséquences criminogènes des sorties. Le contrôle des flux carcéraux devint un enjeu considérable dans les nouveaux schémas de maintien de l'ordre qui se développèrent sous Khrouchtchev.

Identiferoai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00593664
Date21 March 2007
CreatorsElie, Marc
PublisherEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)
Source SetsCCSD theses-EN-ligne, France
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypePhD thesis

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