Cette recherche aborde le dialogue difficile entre les « sujets de justice » (Fraser, 2005), victimes de violence politique, et les dispositifs étatiques de réparation. Dans les démocraties libérales, ces luttes pour la reconnaissance engagent couramment le témoignage public des survivants-es d’injustices historiques. Or, ces dispositifs d’éclaircissement de la vérité sur le passé sont souvent administrés par l’État, parfois lui-même complice des crimes reprochés. Dans ce contexte, le dialogue social entrepris entre les parties tend à fermer les livres de l’histoire ou encore à imposer une version consensuelle des événements. Cet espace relationnel n’est pas exempt de ruptures et d’enchaînements imprévisibles de la part des sujets impliqués dans la prise de parole, d’où l’intérêt de prendre pour objet d’investigation la notion de « conflit des interprétations » (Ricœur, 2003 [1969]) afin d’aborder les mémoires de violence.
Par le biais d’une étude de cas sur les buanderies Madeleine en Irlande, des institutions asilaires (18e-20e siècles) qui ont enfermé et astreint au travail des dizaines de milliers de femmes et de filles, j’entreprends d’identifier les tensions dans les discours de remémoration au sujet des buanderies pour la période allant de 1993 à 2014. Cette dernière débute par la découverte d’une fosse commune à Dublin et s’en suit d’une série d’actions associatives et gouvernementales qui visaient à reconnaître et à réparer les torts passés. En prenant appui sur la question « Quels sont les points de tensions qui révèlent le conflit des interprétations dans l’articulation des discours de remémoration des IML entre 1993 et 2014? », cette thèse porte une attention particulière au processus de dévaluation des savoirs des « témoins témoignant », ainsi qu’à la conception de la responsabilité collective face à la dette envers les survivantes ayant fait l’expérience du déni de reconnaissance. L’une des visées est d’expliquer et de comprendre comment une société répond à ces voix du passé – qui exigent des formes de réparation comme promesse d’avenir – en reconnaissant les dynamiques interprétatives incessantes qui engagent les sujets dans un « travail de remémoration » qui n’est jamais clos.
À partir d’un cadre théorique fondé sur l’herméneutique, la philosophie morale et politique et l’analyse du discours partiellement assistée par ordinateur, je développe une méthodologie qualitative novatrice qui croise l’analyse d’histoires orales, d’articles de presse et des transcriptions de débats parlementaires. Ces divers documents historiques m’ont permis de documenter des manifestations spécifiques de la honte sociale et des silences, révélant une « culture de remémoration » ayant pour cœur un déficit de crédibilité sur lequel se fonde un discours de victimisation des témoins de l’histoire, tout en informant d’un discours d’imputabilité où dominent des tensions entre la représentation de la transgression et celle de la responsabilité.
En conclusion de la thèse, j’avance que les enjeux de compensation financière envers les survivantes des IML ne peuvent se passer d’une réflexion élargie sur la transvaluation du sens de la « perte ». À ce sujet, je propose de poursuivre ce dialogue social à partir de la notion de parité de participation qui, à mon avis, permet de penser la justice dans un « esprit de conciliation ».
Identifer | oai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/36859 |
Date | January 2017 |
Creators | Rousseau, Audrey |
Contributors | Vanthuyne, Karine |
Publisher | Université d'Ottawa / University of Ottawa |
Source Sets | Université d’Ottawa |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thesis |
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