Jacques Derrida est signataire de ce qu’on appelle une "œuvre" : un vaste corpus de textes où d’autres "œuvres", en grand nombre, sont citées, étudiées, analysées ou déconstruites. Souvent, il utilise le mot "œuvre", et plus rarement mais de manière significative, il interroge ce mot ou ce qu'il appelle l'"énigme" du concept d'œuvre. Dans ce qu’il « dit » alors, un double « faire » est impliqué. D’une part, il se demande « Que fait cette œuvre ? », et nous pouvons analyser et commenter ce qu’il dit. Mais d’autre part, nous pouvons aussi nous demander : « Mais que fait Derrida quand il analyse ce que fait cette œuvre ? ». C’est cette deuxième question qui tend à prévaloir dans cette étude. Dans les champs de l'histoire de l'art, de l'esthétique ou de la critique littéraire, il existe une immense littérature autour de la question de l'œuvre. La convoquer, dans le format limité de ce travail, aurait conduit à des simplifications, des approximations ou des omissions. On a donc fait un autre choix : chercher dans le texte derridien lui-même, dans son faire, son auto-hétéro-affection, les éléments qui pourraient conduire à l’élaboration d’un concept d'œuvre spécifique et singulier. Afin de tenir compte de la critique externe et aussi de la longue histoire de la philosophie autour de cette thématique, on a mis à profit la structure d'"invagination" du texte derridien. Dans ce texte même, en prenant appui sur la littérature secondaire, on peut repérer d'autres pensées de l'œuvre, par exemple celles de Lévinas ou d’Heidegger. Cette méthode a conduit aux hypothèses suivantes : 1. Il y a dans l'œuvre derridienne, y compris à travers l’analyse des autres œuvres, la mise en jeu d’un "Il faut", d’une ou de plusieurs inconditionnalité(s), et ce dès les premiers textes. 2. La structure d'auto-immunité, décrite dans l'œuvre, opère dans l'œuvre. "Il faut" se protéger contre quelque chose. Quoi? Notre hypothèse, c'est qu'il s'agit du mal radical. 3. Malgré les apories multiples dont la description occupe une large partie de l'œuvre, le désir de protection, en principe impossible à réaliser, réussit quand même. On peut tenter de démontrer cette réussite, mais on peut aussi, surtout, en témoigner par la lecture : Je dois reconnaître, je dois avouer qu'elle me vaccine. 4. Cette opération, que nous nommons aussi "œuvrance", est performative. Elle passe par cinq principes inconditionnels : laisser l’avenir ouvert, s’adresser à l’autre comme tel, s’aventurer pour plus que la vie, garder le secret, répondre des principes - en ce moment même. 5. Cela conduit à la définition d'un "principe de l'œuvre" spécifique de l’œuvre derridienne dont l'énoncé est le suivant : Ce qui a lieu dans une œuvre s’affirme inconditionnellement, en-dehors de tout calcul, de toute finalité et de toute transaction. / Jacques Derrida signs what is called “une oeuvre” ("a work") : a vast corpus of texts, in which other "works", great in number, are cited, studied, analyzed or deconstructed. He often uses the word "work", and more rarely, but in a significant way, he interrogates this word, or what he calls "the enigma" of the concept of work. In what he "says", then, a double "doing" is implied. On the one hand, he asks himself "What makes this work?", and we can analyze and comment upon what he says. But, on the other hand, we can also ask ourselves : "But what does Derrida do when he analyzes what it is that makes this work?" This second question is the one that tends to prevail in this study. In the fields of art history, esthetics or literary criticism, there exists an enormous litterature around the question of the work. To raise it, in the limited form of this essay, would lead to simplifications, approximations, or omissions. We have therefore made another choice : to seek out, in the derridian text itself, in its "doing", its auto-hetero-affection, the elements that could lead to the elaboration of a specific and singular concept of work. In order to account for external criticism, and also of the long history of philosophy around this thematics, we have privileged the Derridian text's structure of "invagination". In his text itself, drawing on the secondary literature, we can link up other thoughts involving the work, for example those of Levinas or Heidegger. This method has lead to the following hypotheses: 1. In the derridian work, including across the analysis of other works, the setting into play of an "it must", of one or several unconditional(s), and beginning with the first texts. 2. The structure of auto-immunity, described in the work, is operating within the work. "It must" protects itself against something. Against what? It is our hypothesis that this has to do with radical evil. 3. Despite the multiple aporias whose description occupies a large part of his work, the desire for protection, in principle impossible to realize, nonetheless succeeds. We can try to demonstrate this success, but we can also, above all, take note of it by reading : I ought to recognize, I ought to acknowledge that it vaccinates me. 4. This operation, that we also call “œuvrance” (“working”), is performative. It passes through five unconditional principles : leave the future open, address oneself to the other as such, aim for more than life, keep the secret, answer to principles -- in this very moment. 5. This leads to the definition of a "principle of the work": specific to the derridian work whose statement is the following : what takes place in the work, is unconditionally affirmed, beyond all calculation, all finality and all transaction.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2017PSLEE002 |
Date | 07 January 2017 |
Creators | Delain, Pierre |
Contributors | Paris Sciences et Lettres, Crépon, Marc |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | English |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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