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Le langage de Rimbaud

Pendant les trente dernières années on a publié un assez grand nombre d'études de Rimbaud. II y en a très peu qui traitent du langage assez spécial du poète. Toutefois il est bien plus facile de comprendre un poème quand on sait non seulement ce que le poète a dit dans la langue courante mais aussi ce qu'il a voulu dire dans sa langue personnelle.
Tout mot possède pour chacun de nous un sens un peu différent. L'Homme subit l'influence de l'hérédité, du milieu et de l'éducation. Chacune de ces influences prète à un mot donné une exhalaison toute spéciale. Donc, afin d'arriver à une compréhension plus complète de l’oeuvre de ce poète symboliste, je me suis mis à étudier son langage d'une façon presque scientifique.
Disons, par exemple, que je prends le mot bonheur qui jouit d'une importance assez considérable dans la hiérarchie linguistique qu'a créée Rimbaud. J'aime à croire que l'étude du terme va éclaircir un peu la notion du bonheur qu'a formée le poète. Je puise donc dans ses poèmes une douzaine de textes où se trouve ce terme. Evidemment, pour faire un choix sans m’égarer de la voie choisie, il faut me méfier des vers où Rimbaud a voulu exprimer seulement le sens quotidien du bonheur, ce qui lui arrive plusieurs fois. L'inclusion de ces vers fausserait l'experience que je tente de poursuivre. Une fois les textes choisis, je les ai étudiés fort soigneusement pour pouvoir ensuite traduire en prose ordinaire la pensée essentielle de ehaque rappel. Dans les traductions ainsi effectuées, j'ai trouvé un lieu commun, une pensée centrale, qui fait partie de cet ensemble d'idées qu’ est le bonheur et qui lie les lextes les uns aux autres. De cette pensée centrale vient le résumé des indices importants du maltre-mot bonheur, résumé que je vais appeler dès maintenant une maltresse-définition.
C'est seulement à partir du moment où j'ai rangé toutes mes définitions que je peux commencer la partie la plus importante de l' étude du langage rimbaldien. Je vais chercher à établir les liens qui unissent les quelques définitions. Par suite, le schéma qu'a suivi Rimbaud dans son oeuvre, le systèeme qu'il a voulu démontrer, va paraîltre pour aider à la comprehension des poèmes.
Pour expliquer ce système, je reprends le terme bonheur. La maîtresse-définition indique que ce terme doit signaler et un état et une force: c'est un état mental qu'il cherche mais cela représente également une source d'où provient la force qui le pousse à la recherche du bonheur même. Or il est évident que pour comprendre la nature du bonheur dont parle Rimbaud, il nous faut étudier en même temps la force. C'est elle qui permet à l'homme de se développer de deux façons — ou d'acquérir le bonheur physique qui le transformera en criminel, ou d'élargir les limites de la pensée et de la connaissance pour trouver le bonheur spirituel. Quelque voie qu'il choisisse, le poète sera séparé du reste du monde.
Mais où cela nous mène-t-il? Ce Rimbaud qui cherche, paraît-il, un bonheur inoul, qui revendique l'aide de la force et de l’amour, comment décrit-il le but qu'il vise au cour de ces expériences? Le nom qu'il donne à ce but, c'est le Génie, terme qui est lié de tout pres à celui d'innocent aussi bien qu'à celui de voyant. En voici la preuve, dans les paroles mêmes du poète:
"II est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase." (Génie:- Oeuvres de Arthur Rimbaud, Paris, Mercure de France, 1934, p. 169)
Voilà nos quatre termes, le bonheur, la force, l’amour et le génie. Ils forment une partie essentielle du message de Rimbaud. Mais le message est hermétique; il nous faut la clef qui en livrera le secret. C'est même comme si on essaie de pénétrer dans un jardin dont la porte a plusieurs serrures. Nous avons les clefs; il s'agit de trouver celle qui convient à chaque serrure. De même Rimbaud nous offre ses maltres-mots (ses mots-clefs); c'est à nous de nous en servir.
J’arrive done à ranger ces quatre mots-clefs dans un schéma qui ajoute à leur importance et qui met en relief les théories de Rimbaud. II est bien évident, à partir de ce moment, que Rimbaud n'emploie pas ces termes dans leur sens quotidien,et que traduire ou bonheur, ou force ou génie par un équivalent ordinaire, c'est perdre le chemin et manquer de comprendre le poète-voyant.
Ensuite il faut chercher d'autres maltres-mots pour les insérer dans le schema. La faim, par exemple, se présente comme un attribut de la force. C'est une faim cérébrale qui exige une nourriture nullement physique et qui ne permet point au poète de mettre fin à ses recherches. Elle est d'autant plus importante qu'elle représente dans son sens journalier une des forces majeures de la vie physique. Et toujours associée à la notion de la faim, il y a la soif. Chez Rimbaud la soif est le symbole d'un désir primordial de sauver son âme, de pénétrer dans un pays plus proche de son idéal.
Je viens d'exposer la méthode que j'ai suivie à l'égard des termes alliés. Mais il ne faut pas oublier les termes opposés. Prenons, par exemple, le mot occident. Cela représente aux yeux de Rimbaud tout ce qui est haïssable, degoûtant, banal. Le contraire de ce terme occident ne sera pas à négliger. Je cherche donc des vers ou des phrases où le poète parle de l'orient, et je trouve encore un maître-mot. L'Orient est pour Rimbaud la patrie de la sagesse et de la force pure.
Yoilà la façon dont j'ai essayé d'exposer les théories du Voyant et de faciliter la comprehension totale de l'oeuvre de Rimbaud. Mais, comme je l'ai déjà indlqué, il ne faut pas croire que les maîtresses-définitions s'appliquent partout dans ses écrits. Dans les Premiers vers on peut trouver bien des fois que plusieurs termes, destinés à se transformer plus tard en maîtres-mots, ne sont pas encore doués d'un sens spécial rimbaldien. Essayer d'appliquer à ces mots-là la formule du schéma serait inutile. II y a une date importante avant laquelle il ne faut pas en général "traduire" ces mots selon la méthode utilisée plus tard. Cette date est, assez naturellement, le 15 mai 1871, jour où a paru la "lettre du voyant".
Avant de terminer ce court exposé de mon travail, il me reste encore une question à résoudre: pourquoi analyser de cette façon l'oeuvre de Rimbaud? Pourquoi expliquer, décrire, traduire? C'est que le travail de Rimbaud avait pour but et de trouver ce que le poète appelait le bonheur et de nous montrer comment le trouver nous-mêmes. Les poèmes de Rimbaud nous rendent inquiets, ils nous bouleversent, ils sont obscurs. Mais ils nous apprennent à nous affranchir de cette tranquillité de l'âme qui nuit tant à l'énergie, pour chercher ensuite quelquechose de mieux, soit le bonheur, soit la liberté.
Rimbaud était un révolté. Certes, il s'est moqué de l’homme,de la société, de la religion, de la vie. Mais, quand même, il nous a offert le moyen de nous sauver de cet enfer qui était pour lui la bourgeoisie et la petitesse de l'âme. Tout home qui cherche à se réaliser est, peut-être à son insu, un disciple de Rimbaud. / Arts, Faculty of / French, Hispanic, and Italian Studies, Department of / Graduate

Identiferoai:union.ndltd.org:UBC/oai:circle.library.ubc.ca:2429/41656
Date January 1947
CreatorsMetford, Lionel Jacques Seymour
PublisherUniversity of British Columbia
Source SetsUniversity of British Columbia
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeText, Thesis/Dissertation
RightsFor non-commercial purposes only, such as research, private study and education. Additional conditions apply, see Terms of Use https://open.library.ubc.ca/terms_of_use.

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