Cette thèse qui se situe au croisement de trois champs de recherche (la littérature, la philosophie, l’histoire des idées) a pour ambition de retracer la manière dont le déracinement, le nomadisme et l’errance ont été investis, à un moment donné de notre Histoire, d’une appréciation positive, au moment même où la sédentarité et l’enracinement se sont vus taxés de conservatisme ennuyeux. Nous postulons que ces évaluations particulières forment un imaginaire politique, dans la mesure où elles sous-tendent une conception particulière du pouvoir (conçu comme un pouvoir-bloquer, un pouvoir-figer) et une conception particulière (spatiale) de la liberté. Cet imaginaire politique, que nous avons nommé « mouvement-liberté » (tout discours axiologique valorisant le mouvement libre et infini, et dévalorisant l’immobilité, la sédentarité et l’enracinement), émerge dans Les Nourritures terrestres d’André Gide et dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche à la fin du XIXe siècle. Nous montrons ensuite que ce discours s’amplifie au cours des années 1920-1930, notamment au sein des textes que nous avons qualifiés de « romans de fuite » ; la troisième partie de la thèse porte sur les années 1960-1970 et met en évidence la redondance discursive du « mouvement-liberté » au sein de la « French theory ». Alors que ces trois premières parties retracent la constitution et l’évolution de cet imaginaire politique minoritaire, la quatrième et dernière partie cherche à penser le retournement qui voit le mouvement-liberté phagocyté par la logique néolibérale. En effet, ce discours, qui était politiquement critique et explicitement de l’ordre du « contre-pouvoir » de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, est aujourd’hui récupéré par le néolibéralisme, qui le revendique pour son propre compte et le travestit en « idéologie nomade » - nous montrons qu’il s’agit bien là d’un travestissement. La généalogie que nous proposons permet de saisir des infléchissements importants quant à l’histoire de la subjectivité et de la politique. / This dissertation is at the crossroads of three fields of research (literature, philosophy, history of ideas); it aims to understand the way in which, at a given moment of our History, uprooting, nomadism and wandering have been positively evaluated, while immobility and settled modes of life have been denigrated. These particular evaluations form a political imaginary, insofar as they underlie a specific conception of power (conceived as capacity to block, to freeze) and a specific (spatial) conception of freedom. This political imaginary, which we called "movement-as-freedom" (any axiological discourse valuing absolute movement and devaluing immobility, rootedness), emerges in André Gide's Nourritures Terrestres and in Nietsche’s Zarathustra at the end of the nineteenth century. We then show that this discourse is amplified during the years 1920-1930, especially in the texts that we called "novels of flight"; the third part of the thesis deals with the years 1960-1970 and highlights the discursive redundancy of "movement-as-freedom" within the French theory. While these first three parts retrace the constitution and the evolution of this minoritarian political imaginary, the fourth and last part seeks to think the recuperation of this discourse by the neoliberal logic. Indeed, this once politically critical discourse is now recuperated by neoliberalism, which praises mobility and despises stability. We focus on this ironic reversal in our last chapter. The genealogy we propose allows us to grasp important changes in the history of subjectivity and politics.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2017USPCC262 |
Date | 22 September 2017 |
Creators | Jeusette, Julien |
Contributors | Sorbonne Paris Cité, Université du Luxembourg, Rabaté, Dominique, Roelens, Nathalie |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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