Dans le Sahel semi-aride du sud-ouest du Niger, les nappes alluviales sont la principale source d'eau. Celle-ci, en raison de sa pauvre qualité bactériologique, est souvent à l'origine de nombreuses maladies hydriques. De plus, à la fin de la saison sèche, les nappes alluviales se tarissent laissant la population sans ressources. Récemment, une campagne de forages captant les aquifères de fracture du socle a été réalisée pour pallier ces difficultés. Or, environ 10% d'entre eux sont pollués par des nitrates qui rendent l'eau impropre à la consommation, et plusieurs se sont avérés stériles après leur mise en service. Afin d'accroître le taux de succès des captages profonds, une meilleure connaissance du mode de recharge des aquifères fracturés et de leur lien avec les nappes alluviales paraissait indispensable. De façon similaire, l'identification des sources de la pollution nitratée présentait un intérêt primordial, puisqu'elle permettait de mieux définir les zones à risques. C'est dans ce contexte que la présente étude a été entreprise. Elle s'est déroulée dans le cadre d'un programme de coopération entre l'Université du Québec à Montréal et l'Université de Niamey et a été financée par le Centre de Recherche pour le Développement International du Canada. Pour mieux comprendre les modes de recharge des aquifères alluviaux et de fractures du socle et identifier l'origine des nitrates contaminants, des approches isotopiques ont été retenues sur la base de travaux antérieurs qui, non seulement démontraient la puissance de l'outil isotopique, mais aussi, fixaient un cadre conceptuel précis pour la poursuite des travaux. L'étude de la recharge s'est déroulée dans un bassin versant de ~20 km2, situé à 60 km à l'ouest de la capitale Niamey, et celle de la pollution par les nitrates, dans la capitale même.
Le bassin de Kobio et la ville de Niamey sont situés dans le sud-Liptako nigérien. Cette région, une pénéplaine en pente douce, connaît un climat tropical sec; les précipitations moyennes annuelles de l'unique saison des pluies y sont de 600 mm et l'évapotranspiration potentielle dépasse parfois 2000 mm. Le fleuve Niger est l'unique cours d'eau permanent de la région. Les autres cours d'eau sont intermittents: c'est le cas du Lomona, qui draine le bassin versant de Kobio avant de se jeter dans le Gouroubi, un affluent du Niger. Les colluvions et alluvions associées aux cours d'eau ainsi que les altérites développées sur le socle composent un premier type d'aquifère, aux propriétés hydrauliques et au mode de recharge relativement homogènes. Les fractures, qui découpent le socle précambrien et qui sont apparues lors de l'orogenèse birimienne (~2 Ga) et du rifting pan-africain (~600 Ma), en constituent un second.
L'étude de la recharge s'est déroulée dans le bassin de Kobio où le cours du Lomona s'inscrit du nord vers le sud, depuis la localité de Guilinga jusqu'à celle de Dioga. Ce kori emprunte un réseau de fractures entaillant les granites birimiens sous-jacents. Les équipements installés dans le bassin (puits, forages, station météorologique, échelle limnimétrique) ont permis, d'une part de suivre pendant 20 mois les fluctuations piézométriques et de mesurer les paramètres météorologiques afin d'établir un bilan hydrique et, d'autre part d'échantillonner mensuellement (lorsque possible) les nappes aux fins d'analyses isotopiques (3H, 18O). Le surplus hydrique disponible à l'infiltration (S) a été calculé en soustrayant de la pluviométrie (P), la lame ruisselée (R) et évapotranspirée (E): S = P - (R + E). La lame précipitée a été de 559 mm en 1989 et de 393 mm en 1990. Le ruissellement représente de 15 à 26% de la pluviométrie annuelle et les données limnimétriques indiquent que la crue se produit moins d'un jour après l'événement pluvieux. Dans le bassin témoin, l'estimation de l'évapotranspiration (49 à 77% de P) doit prendre en compte la nature du sol. En effet, l'évapotranspiration des sols argileux semble supérieure d'un ordre de grandeur à celle des sols sableux. Le surplus disponible pour la recharge des nappes varie de 0 à 36% de la pluviométrie annuelle. En ce qui concerne l'aquifère alluvial, l'alimentation par les berges du cours d'eau semble probable; elle expliquerait les fluctuations saisonnières de la surface libre et des teneurs en 18O mesurées. En effet, lors de la saison pluvieuse, la cote de la nappe s'élève de plus de 7 m; la pluie ne pourrait rendre compte que d'une élévation de 1,75m; on note également un brusque appauvrissement en 18 O de la nappe (de -3,7 à 5,0% -vs SMOW- au puits de Kobio) accompagné d'un fort accroissement de la concentration en O2 dissous (de 3.1 à 5.5 ppm), à la suite de l'infiltration des eaux du Lomona. Lorsque ce kori s'assèche, la cote de la nappe s'abaisse brusquement. Par ailleurs, après la saison des pluies, on enregistre une augmentation progressive de la teneur en 18O de la nappe, ce qui indiquerait un apport continu par drainage des eaux évaporées du sol pendant la saison sèche. D'après les données piézométriques, la recharge de la nappe de fracture semble se produire à la confluence du Lomona et du Gouroubi. En admettant une continuité hydraulique le long de l'axe fracturé du Lomona, ces données laissent croire que la nappe de fracture s'écoule de ce point (Dioga) vers le nord (Guilinga). La distribution des teneurs en 18 O et en 3H confirme cette interprétation. L'âge relatif de la nappe, obtenu à l'aide des concentrations en 3H, augmente progressivement depuis Dioga vers Guilinga. Ce vieillissement s'accompagne d'un appauvrissement en 18O de la nappe, qui passe progressivement, de Dioga à Guilinga, de -2,6 à -4,9%, sous l'effet d'un mélange entre une recharge, "jeune" et riche en 18O, avec une eau "vieille" et pauvre en 18 O.
L'étude de la composition en 15N des nitrates contaminant les eaux souterraines a été réalisée à Niamey même, du fait que la capitale est plus gravement touchée par la pollution que le Niger rural. La nappe de Niamey que l'on retrouve de part et d'autre du fleuve Niger, s'écoule dans les fractures entaillant les granites et les ensembles volcano-sédimentaires birimiens parfois recouverts de formations sédimentaires paléozoïques. L'hydrogéologie de cette nappe étant encore mal connue, une étude de la recharge et de l'âge des eaux a aussi été jugée utile; elle a été réalisée sur la base des analyses des isotopes de l'eau (2H, 3H, 18 O) et du carbone dissous (13C, 14C). Des prélèvements des ouvrages pollués ont été faits mensuellement, pendant une vingtaine de mois pour un suivi des teneurs en nitrates, en 15N et en 18O. Les teneurs en 2H et en 18 O de la nappe indiquent deux modes de recharge: par la pluie, en dehors de toute reprise évaporatoire, et par des eaux à cachet évaporé issues du fleuve ou des bas fonds. La recharge par percolation directe se produit sur le plateau qui s'élève du côté NE du fleuve, tandis que l'alimentation par des eaux évaporée est associée à la plaine qui s'étend du côté SW (où se trouvent tous les ouvrages pollués). Cette dualité de mode de recharge laisse croire à la présence de deux nappes distinctes (nappe du plateau et nappe de la plaine); ce que la répartition géographique des teneurs en 18 O confirme: elles sont >-3% en secteur de plaine et <-4% en secteur de plateau. L'alimentation de la nappe de la plaine est en partie expliquée par l'injection épisodique d'eau en provenance des bas fonds, résultant en une diminution abrupte de la conductivité (de -2500 à -500 H-S-cnr1) et en une augmentation conjointe des teneurs en O2 dissous (de ~1 à -5 ppm) et en 18 O (plus de 3 unités S). Les teneurs en 3H et en 14C indiquent une recharge récente de la nappe de plaine avec participation possible d'eaux millénaires. Les teneurs en l5N des nitrates, dans les ouvrages contaminés, sont supérieures à +\2% (vs N2 atmosphérique) et dépassent parfois +17%. Dans les ouvrages sains, elles varient de +6 à +23%. Les latrines (+14,7 à +16%) pourraient être la principale source de pollution des ouvrages dont les teneurs sont > +16%. Les compositions isotopiques relativement basses (-12 à 14%) de certains sites contaminés s'expliqueraient par un mélange des nitrates des latrines et des sols (-+10% en moyenne); ces derniers pourraient être parfois responsable de 85% de la charge en nitrates. La pollution des nappes par les nitrates des sols est une conséquence de la déforestation. Marqués par leur faible teneur en 15N (+0.5 à 3.6%), les fertilisants, utilisés pour la culture du riz à proximité des sites contaminés, ne paraissent pas contribuer significativement à la pollution. Enfin, la composition isotopique des nitrates, lors de leur trajet dans la nappe, ne semble pas être modifiée par des phénomènes comme la dénitrification ou l'absorption des nitrates sur les oxi-hydroxides.
Les résultats de cette étude suggèrent qu'indépendamment de la taille des bassins versants, la recharge des aquifères de fracture du socle semble contrôlée par le réseau fracturé et les cours d'eau qui empruntent des accidents majeurs. Par ailleurs, la contamination des nappes par les nitrates semble être le résultat d'une urbanisation sauvage (latrines artisanales) et de la déforestation. Alors que les premières sont limitées au tissus urbain, la coupe intensive, pour alimenter les populations en bois, s'effectue dans un rayon toujours grandissant à l'extérieur des villes menaçant ainsi progressivement les ressources hydriques des milieux ruraux.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.1313 |
Date | January 1993 |
Creators | Girard, Pierre |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://constellation.uqac.ca/1313/ |
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