"Il a toujours été discret dans ses confidences, anxieux d'être surpris dans son intimité. Son œuvre, comment elle lui est venue, ce qu'il en a fait au cours de pénibles combats avec lui-même, comment le dire? C'est histoire de fantômes. Continuellement, il sentait leur présence. Étaient-ils nombreux? Impossible de les dénombrer. Plus d'un en tout cas, peut-être deux, peut-être davantage. Ou peut-être ces deux-là pouvaient-ils devenir autres, se multiplier. Ce qui est certain, c'est qu'ils étaient rarement d'accord entre eux, que chacun essayait de l'emporter auprès de lui, de lui arracher les bouts de terrain qu'il labourait avec peine. Il en ressortait dans un état d'épuisement proche de l'agonie." (Conversations de fantômes, p. 335). Cet extrait de la Berceuse à Claude Vivier illustre les préoccupations de l'auteure cherchant à répondre à la question de recherche: « À quoi rêve Agni? », l'héroïne de l'opéra de chambre Kopernikus (1979), du compositeur québécois Claude Vivier (1948-1983). L'essai sur l'imaginaire en musique à partir de cet opéra « rituel de mort » n'est ni une biographie ni une thèse de musicologie; il n'est pas non plus un ouvrage critique au sens strict, tant est évidente la complicité de l'auteure avec son sujet. Difficile à ranger sous une étiquette générique quelconque, l'ouvrage – qui pourrait s'apparenter à une docufiction – explore différentes méthodes et, s'appuyant sur la théorie herméneutique de Hans-Georg Gadamer (1900-2002), se sert de la tradition et de l'histoire pour construire une passerelle unissant une existence au déploiement d'une œuvre. Il déporte ainsi le lecteur vers un univers culturel fait de fantasmagories et l'introduit dans un imaginaire dont la fonction est de créer. Est alors tissé un long contrepoint à trois voix, forme de dramatisation qui implique des échanges sur les plans onirique et fictif, hors du temps et du lieu, entre trois personnages qui animent le texte : l'interprète, le compositeur et l'auteure. La Berceuse à Claude Vivier emprunte à l'opéra baroque le schéma périodique des récitatifs et des arias, en écho à un stéréotype beaucoup plus ancien, celui de l'alternance des couplets et des refrains de la chanson. Sur le mode recitativo, le contrepoint décrit, narre, explicite et explique. Ses échanges suivent la structure de Kopernikus telle qu'elle est révélée par le découpage analytique de l'opéra. Chacun des quatorze chapitres de la Berceuse est précédé d'une brève élégie qui culmine dans le Postlude. On ne sait d'où provient cette lamentation qui berce; mais on le devine... Quant aux bulles qui explosent à la surface du contrepoint imaginé, elles sont d'une manière énonciatrice et d'une matière émotive qui viennent d'ailleurs. Ces ariae tiennent du rêve (les Visions), d'un passé surgissant pour instruire (les Exposés de l'Interlude 1), du roman familial et psychique (la Berceuse à Claude Vivier), de l'introspection créatrice (les Hymnes à la création de l'Interlude II). À partir de procédés d'écriture qui empruntent aux pratiques analytiques créatives et aux techniques très diversifiées du « biographique » - entre autres au brouillage énonciatif et à la narration fragmentée -, chaque détour de la thèse rappelle constamment au lecteur que cette incursion dans l'imaginaire du musicien vise à atteindre un type de vérité qui n'est pas celui de l'érudition - bien que la démarche soit érudite-, mais celui de la compréhension et de l'empathie au sens où l'entendait Gadamer : il s'agit de s'ouvrir et d'être prêt à se laisser dire quelque chose par cet imaginaire. Dans un tel état d'écoute attentive aux phénomènes réels d'une existence - celle de l'œuvre et celle de son créateur -, la sensibilité de l'herméneute est fortement sollicitée, au même titre que les facultés intellectuelles. C'est la raison pour laquelle la subjectivité de l'auteure émerge dans l'énoncé en affectant à son tour le traitement auquel elle soumet les données analytiques et factuelles de l'interprétation. Très documentée, la thèse se permet alors de jouer dans les tonalités chatoyantes du réel et de l'irréel, du factuel et de l'imaginé. Le sujet même, l'imaginaire, exige ce nuancement. Est alors mise en perspective une réalité supposée, longuement supputée, dont la véridicité est laissée à l'appréciation du lecteur. Celui-ci cherche son chemin à travers le métissage des genres et des registres. La portée du regard qui l'entraîne est réflexive sans être ouvertement critique. Elle se rangerait plutôt du côté de l'observation admirative et soumet au doute ses observations. C'est en entrelaçant ainsi le fictionnel et le documenté dans le cadrage d'une expérience que la thèse devient l'illustration d'une façon d'aborder l'imaginaire en musique. La Berceuse à Claude Vivier est précédée d'une longue introduction dressant le cadre théorique de la Thèse.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Vivier Claude (1948-1983), Kopernikus opéra (1979), Imaginaire, Musique, Québec 1940-2000
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.5394 |
Date | 11 1900 |
Creators | Bail, Louise |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/5394/ |
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