Les années 1990 constituent un tournant décisif dans la gestion de la migration dans l'espace européen et ceci pour plusieurs facteurs. En effet, au moment où une régionalisation ou une communautarisation se mettait en place progressivement en Europe (Schengen 1985 et Convention d'application de 1990), des ressortissants de certains pays tiers tentaient de rejoindre le continent européen dans le but d'améliorer leurs conditions de travail et de vie, de trouver une protection internationale, de fuir les guerres, les conflits et des conditions climatiques peu propices au respect de leurs fondamentaux. Elles coïncident avec la réduction des possibilités de migrer également vers l'Europe, la fermeture et le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne (UE), l'organisation internationale qui regroupe 27 pays membres ayant pour mission de créer une communauté économique et politique et qui a mis en place une politique de lutte contre l'immigration irrégulière. La lutte européenne contre l'immigration vise principalement à stopper l'arrivée de migrants irréguliers et à renvoyer des étrangers irréguliers présents sur le sol européen vers des pays tiers. Désormais, l'accès à l'Europe forteresse devient presque impossible pour des ressortissants provenant de certaines régions notamment d'Afrique subsaharienne qui ont orienté leur choix vers l'immigration irrégulière. De pays d'émigration, le Sénégal et le Maroc deviennent aussi des pays de transit pour les candidats à l'émigration irrégulière vers l'Europe. Cet état de fait explique amplement les choix opérés par l'UE de renforcer sa coopération avec ces pays tiers en vue de mieux lutter contre l'immigration irrégulière. Il s'agit pour l'UE de transférer des obligations et des responsabilités aux pays d'origine ou de transit dans la gestion des flux migratoires et le contrôle des frontières extérieures de l'UE. C'est l'externalisation de la lutte européenne contre l'immigration irrégulière. Cette externalisation se réalise au travers de l'adoption d'accords internationaux qui peuvent mener à l'introduction de clause migratoire également dans des accords généraux conclus entre l'UE et les pays tiers, notamment dans l'accord de Cotonou, conclu entre l'UE et les pays ACP. En outre, l'adoption de déclarations politiques entre l'UE et les pays tiers afin de transférer à ces derniers la responsabilité de limiter les départs et d'accepter de réadmettre leurs ressortissants ou des étrangers ayant transité sur leur sol, qui sont présents irrégulièrement en Europe, est un instrument de mesure de l'externalisation. L'externalisation se réalise aussi dans les pays tiers qui criminalisent la sortie de leurs ressortissants et des étrangers y résidant légalement ou non, dans le but de se rendre en Europe. Par ailleurs, les cadres législatifs adoptés par les autorités marocaines et sénégalaises criminalisent l'immigration et l'émigration irrégulières et la migration clandestine. Le but de la recherche est de démontrer que l'externalisation de la lutte contre les migrations irrégulières de l'UE porte atteinte aux droits des migrants dans les pays d'origine ou de transit, et il paraît essentiel de définir un cadre conceptuel et une méthodologie. Pour ce faire, reposant sur une méthodologie positiviste suivant une approche critique (herméneutique), la recherche analyse les cadres juridiques de l'UE et de pays tiers (Sénégal et Maroc). Ainsi, l'examen de la jurisprudence des juridictions marocaines et sénégalaises relative au contentieux du droit des étrangers montre que les pays tiers contribuent clairement à la lutte européenne contre l'immigration irrégulière, à travers la poursuite et les sanctions appliquées aux ressortissants marocains, sénégalais et étrangers résidant également ou non dans ces pays, pour leur volonté présumée de partir vers le continent européen de façon irrégulière et lors de leur retour dans leur pays d'origine ou de transit. En outre, l'étude de ces deux pays démontre un autre aspect important dans cette externalisation : la difficulté d'établir les responsabilités des États comme de l'UE dans les différentes violations des droits de l'homme des migrants dans ce contexte d'externalisation. Nonobstant la complexité de définir les responsabilités des acteurs dans cette externalisation, la documentation de l'UE et de ses institutions, ainsi que le rôle des agences et particulièrement de Frontex, peuvent apporter un éclairage essentiel à nos interrogations sur la responsabilité des États et de l'UE dans les différentes violations des droits de l'homme constatées lors du renvoi des migrants et de leur blocage dans les pays tiers. Dès lors, il est pertinent d'étudier les positions des juridictions internationales afin d'établir cette responsabilité des États et de l'UE, mais les décisions rendues à ce jour ne permettent pas d'arriver à cette conclusion. Ce faisant, il est plus qu'indispensable de poser de nouvelles orientations si l'on souhaite mettre fin à cette externalisation et à ses conséquences néfastes sur les droits de l'homme des migrants irréguliers même dans les pays tiers, car l'adoption des deux pactes (pacte mondial sur la migration et pacte mondial sur les réfugiés) ne semblent pas apporter des solutions judiciaires et une meilleure protection des droits des migrants / The 1990s were a decisive turning point in the management of migration in the European area, for several factors. Indeed, at the time when regionalization or communitarization was gradually taking place in Europe (Schengen 1985 and 1990 Implementation Convention), nationals of certain third countries were trying to join the European continent in order to improve their conditions of work and life, of finding international protection, of fleeing wars, conflicts and unfavorable climatic conditions for the respect of their fundamentals. They coincide with the reduction in the possibilities of migrating also to Europe, the closure and control of the external borders of the European Union (EU), the international organization which brings together 27 member countries whose mission is to create an economic and policy and which has implemented a policy to combat irregular immigration. The main objective of the European fight against immigration is to stop the arrival of irregular migrants and to return irregular foreigners present on European soil to third countries. From now on, access to fortress Europe is becoming almost impossible for nationals coming from certain regions, notably from sub-Saharan Africa, who have turned their choice towards irregular immigration. From emigration countries, Senegal and Morocco also become transit countries for applicants for irregular emigration to Europe. This fact amply explains the choices made by the EU to reinforce its cooperation with these third countries with a view to better combating illegal immigration. It is a question for the EU of transferring obligations and responsibilities to the countries of origin or transit in the management of migratory flows and the control of the external borders of the EU. It is the outsourcing of the European fight against irregular immigration. This outsourcing is achieved through the adoption of international agreements which can lead to the introduction of a migration clause also in general agreements concluded between the EU and third countries, in particular in the Cotonou Agreement, concluded between the EU and ACP countries. In addition, the adoption of political declarations between the EU and third countries in order to transfer to the latter the responsibility for limiting departures and agreeing to readmit their nationals or foreigners having transited on their soil, who are present irregularly in Europe, is an instrument for measuring outsourcing. Outsourcing is also carried out in third countries which criminalize the exit of their nationals and foreigners legally or illegally resident there, with the aim of traveling to Europe. In addition, the legislative frameworks adopted by the Moroccan and Senegalese authorities criminalize irregular immigration and emigration and illegal migration The aim of the research is to demonstrate that the outsourcing of the fight against irregular migration from the EU infringes the rights of migrants in the countries of origin or transit, and it seems essential to define a conceptual framework and a methodology. To do this, based on a positivist methodology following a critical (hermeneutical) approach, the research analyzes the legal frameworks of the EU and third countries (Senegal and Morocco). Thus, the examination of the jurisprudence of the Moroccan and Senegalese jurisdictions relating to the litigation of the right of the foreigners shows that the third countries clearly contribute to the European fight against the irregular immigration, through the prosecution and the sanctions applied to the Moroccan nationals, Senegalese and foreigners residing or not also in these countries, for their presumed will to leave towards the European continent in an irregular way and at the time of their return in their country of origin or transit. In addition, the study of these two countries demonstrates another important aspect in this outsourcing: the difficulty of establishing the responsibilities of States and of the EU in the various violations of the human rights of migrants in this context of outsourcing. Notwithstanding the complexity of defining the responsibilities of the actors in this outsourcing, the documentation of the EU and its institutions, as well as the role of the agencies and particularly of Frontex, can shed essential light on our questions about the responsibility of States and the EU in the various human rights violations observed during the return of migrants and their blockage in third countries. Therefore, it is relevant to study the positions of international courts in order to establish this responsibility for States and the EU, but the decisions delivered to date do not allow this conclusion to be reached. In doing so, it is more than essential to set new directions if we want to put an end to this outsourcing and its harmful consequences for the human rights of irregular migrants even in third countries, because the adoption of two pacts (global pact on migration and global pact on refugees) do not seem to provide legal solutions and better protection of the rights of migrants.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/70583 |
Date | 27 January 2024 |
Creators | Ndiaye, Ndeye Dieynaba |
Contributors | Crépeau, François, Delas, Olivier |
Source Sets | Université Laval |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | thèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat |
Format | 1 ressource en ligne (xxii, 493 pages), application/pdf |
Coverage | Europe., Sénégal., Maroc., Europe |
Rights | http://purl.org/coar/access_right/c_abf2 |
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