L'objet principal de cette thèse est d'étudier les postures du refus de plusieurs écrivains contemporains envers l'écriture, le texte et le livre et leur propension à la négation. Après Rimbaud et Kafka, touchés par des pulsions négatives, des écrivains contemporains ont amplifié leur mal et ont choisi d'être radicalement absents du panthéon littéraire à un moment particulier de leur parcours artistique. De leur négation se dégagent de troublantes formes d'absence et des agraphies irrévocables encore non élucidées par l'histoire de la littérature. Ces écrivains négatifs sont des bartlebys, comme les désigne Enrique Vila-Matas dans Bartleby et compagnie. La figure de Bartleby, issue de la nouvelle de Herman Melville, symbolise une alliance d'oubli, de refus, de parfaite renonciation et d'absence, une attirance vers le néant dont l'expression rejoint celle des écrivains négatifs. En effet, le scribe Bartleby se refuse à écrire. Il répond à chaque sollicitation « I would prefer not to» ; il s'emmure peu à peu comme si, par une écriture niée et refusée à la fois, l'univers se dérobait devant lui jusqu'au néant. Installé dans l'évidence du silence et de la tentation de l'oubli, apathique et indifférent, Bartleby sombre dans le labyrinthe de sa propre négation. Il meurt silencieux à la fin de la nouvelle. Avec ce Bartleby étudié, nous le verrons, par Agamben, Deleuze, Blanchot, etc., s'édifie la pertinence d'un mythe fondateur des écrivains négatifs contemporains. À partir de la figure de Melville, interprétée comme une réflexion sur l'écriture, notre analyse évalue les raisons de leur congé de la littérature, la qualité de leur silence, la force troublante de leur immobilité, car les bartlebys accèdent à une sorte de « vérité » dans la négation de l'écriture. Leur volonté de ne plus écrire est d'autant plus remarquable que les bartlebys contemporains sont des écrivains avant tout et non des écrivains ratés. Leurs publications ou leur expérience littéraire leur a valu éloge ou reconnaissance de leurs pairs. Le processus créatif et les stratégies de l'écriture leur sont familiers. Tout comme Bartleby, ils ont cessé d'écrire ou ont délaissé, aidés de leur refus et de leur volonté d'absence, les valeurs propres à l'écriture et la littérature leur apparaît comme un repoussoir. Nous analyserons une partie significative de l'oeuvre de l'écrivain catalan Enrique Vila-Matas, qui a permis dans ses ouvrages de suivre les traces des bartlebys dans la littérature contemporaine occidentale. Cette exploration nous amènera à considérer un effet-bartleby dans cette même littérature contemporaine. Dans l'approche théorique de notre thèse, nous identifierons tout d'abord la dimension esthétique de ces écrivains du refus, sortes de fantômes de la littérature contemporaine. D'une part, nous cernerons selon quels critères ils prolongent l'ombre du Bartleby a scrivener de Melville. D'autre part, nous chercherons comment les bartlebys invoquent un imaginaire tourné vers l'inspiration et ayant renoncé aux formes. Nous nous risquerons en premier lieu sur le versant d'une écriture intrinsèquement porteuse d'espérance, puis nous aborderons le manque d'issues constaté par les bartlebys, ainsi que le caractère d'échec qu'ils confèrent à l'écriture face à la vie. Nous considérerons ensuite les raisons propres à la littérature dans le mouvement de sa négation. L'histoire littéraire montre en effet la constitution d'un processus interne de dévalorisation qui semble le moteur des thèmes et le ressort narratif de la littérature contemporaine. Cette dévalorisation est porteuse de tensions négatives intenses dont nous analyserons les répercussions sur le renoncement des écrivains négatifs. Corollairement, l'évolution de la fonction d'auteur vers une image et un rôle éloignés dans la représentation met également à mal une certaine éthique de la création en littérature. Au centre des pulsions négatives, nous entendons distinguer particulièrement les formes de l'absence propres à plusieurs écrivains négatifs. Elles montrent les ressorts multiples de la négation et se situent au-delà des limites admises de la littérature; leur expression n'est pas sans implication sur la littérature et nous chercherons dans leur matérialisation l'énigme de l'effacement des écrivains négatifs. Enfin, nous montrerons où s'élaborent leurs modes de confrontation (avec l'écriture, avec soi-même, avec le monde, avec l'institution littéraire, etc.) et comment ils indiquent aussi la nécessité d'une écriture préoccupée de sens afin de remédier à leur propre déchirement. Ce faisant, nous traiterons des carences de l'écriture et des tourments de ces créateurs littéraires. Nous nous attacherons particulièrement à comprendre les motivations du silence de l'écrivain suisse Robert Walser. Son silence de vingt-trois ans dans un asile, son étonnante spécificité littéraire, son rapport littéraire au vécu, l'utilisation de la glose comme ressort narratif, sa conception littéraire de la promenade, la création de son territoire du crayon et l'écriture dissimulée de ses microgrammes constituent un espace de négation particulièrement riche et stable, une forme novatrice de la clandestinité et du renoncement à la littérature. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Bartleby, Herman Melville, Enrique Vila-Matas, Robert Walser, écriture, négation, Littérature contemporaine, Dévalorisation, Refus, Absence, Silence.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.1572 |
Date | January 2008 |
Creators | Tillard, Patrick |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, PeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/1572/ |
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