À la dérive sur la rivière et sur la route, sur des radeaux gonflés d’air, à pied ou sur le pouce, en zigzagant d’une rive à l’autre en traversiers, je suis les courants de la Rivière des Outaouais jusqu’à Montréal.
En partant de Hull en bateaux pneumatiques à l’embouchure du Ruisseau de la Brasserie, je me laisse porter par la rivière jusqu’à ce qu’elle me dépose une quarantaine de kilomètres plus loin. Je continue à longer la rivière en marchant et en embarquant sur tous les traversiers qui croisent mon chemin.
Je trace une ligne irrégulière dans l’espace, je suis guidé par les courants et les routes qui suivent la Rivière des Outaouais, le Lac des Deux-Montagnes et le Lac Saint-Louis; je retourne dans ma ville natale en me déroutant, en revenant sur mes pas, en allongeant mon trajet.
Je marche vite. Je me déplace comme je suis: en empruntant le parcours le plus long, parsemé de contradictions, de naufrages, de bifurcations, de changements d’idées et de directions. Mes mouvements sont décousus et impulsifs, mais je poursuis de l’avant en explorant tous les détours.
Un carnet de voyage, une lourde expédition déroutée en vagabondage insouciant au fil de l’eau, en passant par la tente et l’auberge au bord de la route, par la proue et la roue, avec le cours de la rivière et en sens inverse du trafic; j’avance en formant un tracé incertain, influencé par les éléments naturels, les obstacles et les constructions, au gré du jour, dessiné par mes humeurs et mon tempérament.
Comme les héros de contes et de légendes sur des quêtes mythiques, je rencontre des obstacles et des défaites. Ma grande odyssée sur l’eau a échoué, mon expédition surchargée a pris le bord en faveur d’un pèlerinage le long de la rivière. C’est mon châtiment et mon expiation. Je marche et je jeûne, je chante, je pleure, je saigne. Mon but est encore loin et je marche au jour le jour, pas par pas, mais je suis un protagoniste qui succombe à la tentation, mes envies deviennent élémentaires : confort et nourriture. J’assouvis mes désirs, je nourris le contraste entre mes journées de pénitence à pied et mes soirées de plénitude à l’hôtel.
Comme bon me semble, je m’abandonne à mes lubies sur la route. Contrairement à la rivière où j’étais à la merci des éléments, à pied je prends des décisions, je peux prendre mon temps, je peux dormir confortablement… La rivière guide toujours mon trajet sur les routes qui suivent ses courbes, mais elle ne m’impose plus ses impasses et remous. En marchant, c’est une dérive beaucoup plus fluide, plus propice à l’émersion dans l’environnement, plus propice à la photographie.
Dans les photos, je documente les points tournants de mon parcours, les points de traversées, les moments de repos et d’arrêt, les monuments le long de l’eau… Dans une rame maintenant obsolète percée d’un trou, j’encadre des éléments du paysage pour les mettre en évidence. Des photos comme signes de mon passage, placées dans un cahier de route, comme une autre donnée de la journée, telle la température et le kilométrage accompli.
J’ai accompli ma quête jusqu’aux écluses de Lachine par tous les moyens; je n’ai pas traversé la ligne d’arrivée triomphalement en bateau, comme à mon point de départ, mais j’ai parcouru la rivière de tous les angles et des deux côtés, je connais toutes ses courbes, ses villages et ses villes. Je me suis adapté en cours de route; je me suis abandonné à mes instincts et désirs, à des décisions spontanées, à un laisser-aller pour que ma dérive soit à la fois influencée par les éléments extérieurs et par mon propre sens de l’orientation.
Identifer | oai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/35091 |
Date | January 2016 |
Creators | Sauvé, Anthony |
Contributors | Gilbert, Lorraine |
Publisher | Université d'Ottawa / University of Ottawa |
Source Sets | Université d’Ottawa |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thesis |
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