Cette thèse porte sur la dynamique sociotechnique à l'œuvre dans le développement d'un dispositif de chat via Internet : l'Internet Relay Chat (IRC). Elle montre qu'il est constamment co-construit par un ensemble d'actants humains et non humains organisés en réseaux sociotechniques appelés « réseaux IRC », parmi lesquels on ne peut distinguer de façon nette les usagers et les concepteurs du dispositif. La thèse s'attache à comprendre les modalités et les mobiles de cette co-construction. Située à l'intersection de deux champs d'étude : la sociologie de l'innovation – dans la perspective des Science & Technology Studies (STS) – et les études sur la communication médiatisée par ordinateur (CMO), notre problématique s'inscrit dans le sillage d'apports théoriques récents qui font valoir que le rôle des usagers dans la construction des dispositifs avait été sous-estimé, en particulier dans le cas des artefacts numériques, qui semblent offrir une plus grande « plasticité » à l'usage. Alors que l'idée d'un usager non seulement acteur, mais aussi contributeur des dispositifs techniques est de plus en plus fréquemment mise de l'avant aujourd'hui, nous constatons que la nature de cette contribution est souvent limitée au contenu. Le cas de l'IRC est intéressant en ce qu'il donne à voir la contribution des usagers à la structure même du dispositif. La recherche s'appuie sur un cadre conceptuel issu de trois approches théoriques en STS : la construction sociale des technologies, la théorie de l'acteur-réseau et le modèle « écologique » des mondes sociaux. Ces trois approches sont mises à contribution pour fournir les éléments d'une théorie de la co-construction qui, par rapport aux modèles classiques de l'innovation, redistribue la capacité d'agir entre les acteurs du développement d'un dispositif sociotechnique. Ainsi, les rôles de concepteur et d'usager s'avèrent être eux-mêmes co-construits dans le processus. Les concepts de communauté de pratique et d'arène d'habileté technique sont mobilisés pour expliquer les ressorts sociaux de l'engagement des acteurs dans cette co-construction. Au plan méthodologique, la recherche est une étude de cas portant plus spécifiquement sur la genèse et le développement de deux des principaux réseaux IRC : EFnet et Undernet. L'objet d'étude spécifique est constitué d'une série de controverses survenues entre 1990 et 2001 et ayant abouti à des sauts qualitatifs dans l'évolution de ces réseaux. Les méthodes mobilisées sont principalement l'analyse de discours et l'ethnographie en ligne, combinées aux techniques d'enquête sur les controverses sociotechniques propres aux STS. Concrètement, le protocole d'enquête a consisté en trois points : a) observation en ligne; b) étude de contenu et analyse de discours portant sur un corpus de documentation disponible sur le Web ainsi que sur les archives de quatre listes de discussion et de deux forums Usenet; et c) entretiens en ligne synchrones et asynchrones avec une douzaine d'acteurs clé du développement de l'IRC. Tandis que l'identification de moments critiques dans le développement du dispositif a permis de repérer des controverses et événements structurants, c'est leur analyse qui a fait ressortir la notion de service comme clé pour comprendre les modalités de co-construction du dispositif. Entendu initialement dans son sens courant (lié à la notion d'usager au sens de client), le service s'est peu à peu « traduit » sous la forme de programmes de plus en plus élaborés jusqu'à constituer des boîtes (presque) noires : les « robots » (bots) officiels ou services IRC. Sur EFnet, ce processus a été longtemps inhibé voire réprimé. Mais les usagers ont développé leurs propres réponses aux lacunes que comportait le protocole technique originel, notamment en créant leurs propres bots pour protéger leurs canaux. Par contraste, les promoteurs d'Undernet ont voulu se démarquer d'EFnet en plaçant le service aux usagers et l'implication de l'usager dans le dispositif au coeur de leur projet. Sur Undernet, le channel service est un concept hybride : c'est un service au sens organisationnel, et un service au sens technique de bot. Le flou définitionnel entourant la notion de service dans le discours des acteurs de l'IRC révèle son statut d'objet-frontière autour duquel s'articulent des « philosophies » du chat parfois divergentes au point de creuser des frontières techniques entre réseaux IRC et, par là même, entre communautés de pratique du chat.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00543964 |
Date | 30 April 2010 |
Creators | Latzko-Toth, Guillaume |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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