Il est notoire que la relation traditionnelle entre économie et sociologie est le conflit. Mais je montre que l'importance de ce conflit est minorée par les économistes. Car si la sociologie, initialement positiviste, s'est construite par opposition à l'économie classique, l'ensemble des écoles économiques marginalistes se sont elles aussi construites par opposition à la sociologie positiviste. Lorsque le dialogue théorique existe, il passe par la sociologie économique. Certains voudraient assimiler la sociologie économique à une branche de la sociologie [Smelser, Swedberg, 1994]. Je montre que la forme traditionnelle prise par la sociologie économique passe par la reconstruction de l'autre science (et non la coopération) et que ce processus de reconstruction à mobilisé des auteurs de chaque camp, et pas seulement des sociologues durkheimiens. Actuellement, le pilier sociologique de la sociologie économique est fortement associé au courant de pensée gravitant autour du sociologue Mark Granovetter, et se réclamant de Max Weber [Smelser, Swedberg, 1994, repris par Steiner, 1999]. Ce courant de pensée se sent quelques affinités avec le courant institutionnaliste. Il a aussi été signalé des affinités avec les travaux d'Alan Kirman. [Steiner, 2005]. En sélectionnant trois concepts issus de la nouvelle sociologie économique (le capital social, l'encastrement social et le réseau social), je montre qu'en fait Alan Kirman représente ici de nombreux économistes. Sachant que les concepts de capital social et d'encastrement social peuvent se ramener au concept de réseau social, il est tentant de réduire l'étude des réseaux sociaux à la seule analyse des réseaux sociaux produite par les granovetteriens tels que Linton Freeman et Stanley Wasserman [Freeman, 2004]. Or, une ligne de clivage importante sépare la définition des réseaux qui les considère comme des objets réels (substantivisme) et la définition qui les considère comme de purs concepts mathématiques (structuralisme) [Mercklé, 2004]. Je montre que cette ligne de clivage a laissé des traces au coeur même de l'analyse des réseaux sociaux. Il est connu que l'approche structurale des réseaux est dominante, et représenté l'état le plus avancé de l'analyse des réseaux sociaux [Mercklé, 2004]. Mais si cette approche existe, c'est parce que les sociologues qui l'ont fondée (Harrison White et Mark Granovetter) ont identifié structure sociale et réseau social. Autrement dit, le point central de convergence entre économistes et sociologues n'est pas méthodologique (l'usage des réseaux sociaux définis structuralement) mais théorique (l'identification de la structure sociale à un réseau social). Je montre ensuite que l'économie des réseaux, largement initiée par Alan Kirman à partir des années 1990, s'inscrit dans une logique où le système des prix est déterminé par une structure sociale réticulaire. Parmi toutes les approches économiques qui utilisent le concept de réseau, l'économie des réseaux est donc celle qui est la plus proche de la sociologie de Harrison White et de Mark Granovetter. Je me suis alors attaché à retracer l'histoire de l'économie des réseaux, ce qui n'avait pas été fait jusqu'à ce jour. Une fois assuré que la sociologie économique contemporaine concentre l'essentiel des relations théoriques entre sociologie et économie, et que le lien le plus étroit unie d'une part la nouvelle sociologie économique, formalisée ou non par l'analyse des réseau sociaux, et d'autre part l'économie des réseaux, j'ai ensuite cherché à décrire cette proximité méthodologique et théorique, en auscultant les modèles mathématiques existants. L'économie des réseaux repose sur un formalisme apte à uniformiser l'écriture de la plupart des modèles économiques [Sanjeev Goyal, 2007]. Malheureusement, ce méta modèle n'a été que partiellement construit. Je me suis donc attaché à achever sa formalisation. Ensuite, j'ai vérifié que ce méta-modèle pouvait prendre en charge l'intégralité de l'analyse des réseaux sociaux. Le propos de la thèse est donc démontré : le concept de réseau social permet l'établissement d'une convergence méthodologique et théorique entre l'économie des réseaux et la sociologie structurale, que cette dernière soit formalisée selon l'analyse des réseaux sociaux ou non. Toutefois, ce résultat peut être étendu. Je montre en effet que les modèles d'Alan Kirman, typiques de l'analyse des réseaux, peuvent être traduits dans le langage de l'analyse complexe, y compris pour les modèles les plus proches de la sociologie. En appliquant le formalisme de l'analyse complexe à la théorie des marchés de Harrison White, je montre enfin que cette forme particulière de sociologie économique s'intègre parfaitement au cadre général de l'analyse systémique. La conclusion qui s'impose est que l'important rapprochement entre disciplines permis par l'analyse des réseaux sociaux fusionnée à la théorie des jeux au sein de la théories des jeux en réseaux (telle que pratiquée par l'économie des réseaux) n'est qu'une modeste partie des convergences bien plus importantes encore qui sont en train de se mettre en place entre sciences à travers l'émergence du paradigme de la complexité.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00612275 |
Date | 20 November 2010 |
Creators | Barbié, Olivier |
Publisher | Université Panthéon-Sorbonne - Paris I |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
Page generated in 0.002 seconds