La musique est art du temps, puisque celui-ci lui donne sa matière. Elle le stylise et recrée les effets de son déroulement circonscrits dans une durée close. Pourtant, les représentations associent fréquemment l’art des sons à une tentative d’oubli voire de négation de l’écoulement temporel. Elles s’inscrivent alors dans une perspective idéaliste qui fait de la musique une utopie consolante, un baume apaisant sur un sujet en proie aux déchirements intérieurs et à la rupture avec le monde – ainsi que l’on peut le lire chez Schopenhauer et Proust à sa suite ou, plus tard, chez Lévi-Strauss. Cette étude a pour but d’examiner le devenir de cette conception du temps musical à l’aune de trois romans contemporains qui semblent l’illustrer mais aussi la mettre en procès : Melodien, de l’allemand Helmut Krausser (1993), Prajs, du russe Léonid Guirchovitch (1998), et The Time of Our Singing, de l’américain Richard Powers (2003). Certains éléments du langage musical, reposant essentiellement sur les principes de polyphonie et d’organicité, dessinent ainsi les contours d’un modèle esthétique (nommé ici « idéal éternitaire ») que ces trois auteurs, marqués par la tentation « compositionnelle », mettent à l’épreuve des transpositions intersémiotiques. L’analyse se porte ensuite sur ce que Paul Ricœur définit comme l’« expérience temporelle fictive », afin de voir comment le rêve d’abolition du temps associé à un sujet musical affecte à la fois le temps intime des personnages et les vastes chronosophies du temps collectif. L’idéal éternitaire, enfin, est à son tour plongé dans le temps : discrédité par les faillites historiques du XXe siècle, il se pense désormais à l’heure postmoderne, sommé de désigner ironiquement sa part anachronique et de confronter la Kultur germanique dont il est issu à la diversité des modèles musicaux. / Music is an art of time, since it gives it its matter. It gives it style and recreates the effects of its process confined in a closed period. However, representations commonly associate the art of sound with an attempt to neglect or even to deny the temporal flow. Accordingly, they fit into an idealistic perspective that makes music a consoling utopia, a soothing balm on a subject beset by internal rifts and rupture with the world – as can be seen in Schopenhauer and Proust after him or, later, in Levi-Strauss. This study aims to examine the future of this conception of musical time in the light of three contemporary novels that seem to illustrate it but also challenge it: Melodien (1993), by the German writer Helmut Krausser, Prajs (1998), the work of Leonid Guirchovitch, a Russian writer, and The Time of Our Singing (2003), by the American novelist Richard Powers (2003). Some elements of the musical language, based primarily on the principles of polyphony and organicity, delineate an aesthetic model (here called “ideal éternitaire”) that these three authors, marked by “compositional” temptation, challenge through intersemiotic transpositions. The analysis then turns into what Paul Ricœur defines as the “fictive temporal experience” to see how the dream of abolishing time associated with a musical subject affects both the intimate time of characters and vast chronosophies of the collective time. Finally the “ideal éternitaire” is in turn immersed in time: discredited by the historical bankruptcies of the twentieth century, it now looks upon itself in the light of postmodern times, ironically bound to refer to its anachronistic share and to confront the German Kultur it comes from with the diversity of musical styles.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2015TOU20092 |
Date | 27 November 2015 |
Creators | Avignon, Nathalie |
Contributors | Toulouse 2, Boissau, Pierre-Yves, Sounac, Frédéric |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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