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L'historien, la parole des gens et l'écriture de l'histoire. L'exemple d'un fonds de témoignages audiovisuels de survivants des camps nazis.

Cette étude analyse le contexte d’élaboration et le contenu d’un corpus de témoignages de rescapés des camps nazis composé de récits de résistants et de Juifs enregistrés dans les années 1990 par la Fondation Auschwitz de Bruxelles, dont un des buts est de prévenir la résurgence de toute forme de fascisme.
Plutôt que d’expliquer l’émergence de ce type d’archives par un retour du traumatisme après son refoulement, ou par la filiation avec la mémoire juive, cette question est élucidée d’une part par la mise en relation avec certaines inquiétudes qui secouent la discipline historienne depuis une trentaine d’années et d’autre part, par un état de la question du traitement de ce qu’on peut appeler “la parole des gens” dans différentes disciplines des sciences humaines : l’histoire, la linguistique, la sociologie, ou la psychanalyse.
La première partie explique l’engouement pour les archives de la parole, et particulièrement pour les témoignages de la Shoah des années 1990 par trois larges perspectives liées entre elles : les changements de la conception de la temporalité, l’un survenu à la fin du XVIIIe siècle, l’autre, autour des années 1980; la deuxième, la manière dont les historiens ont pensé leur rôle social et ont noué des relations avec la société civile depuis les débuts du métier d’historien; et la troisième comment, depuis cette même époque, ils ont justifié pouvoir atteindre leur intention de reconstruction vraie du passé. En fait, cette partie expose les débats entre historiens et société civile qui se cristallisent autour de la notion de témoignage.
La seconde partie est une manière de prendre position dans ces débats. Dans cette partie, les témoignages sont considérés comme des sources. Elle montre que l’on a souvent réfléchi aux sources comme devant à elles seules faire la vérité du récit historique et discute des différentes caractéristiques des sources orales par la mise en oeuvre d’autres domaines du savoir que l’histoire, à savoir la psychanalyse, la sociologie, la linguistique, l’anthropologie à l’aune du fonds enregistré par la Fondation Auschwitz. Après avoir écarté la notion d’oralité comme centrale, discuté de différents systèmes de mémoire individuelle (Bergson , Freud, et Edelman), et celui de la mémoire collective de Halbwachs, de celle de témoignage, il est montré que ce qui définit le contenu de ces témoignages, de ces récits, est la volonté de dire qui l’on est, c’est-à-dire la construction de l’identité, définie comme ce par quoi les gens se sentent déterminés.
Parce que livrer son témoignage, raconter sa vie a un effet sur le témoin, celui de construire un récit de vie par lequel il dit qui il est, -acte de langage grâce auquel il construit son identité-, cet acte est utilisé parfois comme outil émancipateur. Dans les années 1970-1980, l’histoire orale s’intéresse aux acteurs du bas de l’échelle sociale; mais après la fin de la lecture du monde en termes de classes, la fin des marxismes, le témoignage devient un outil de reconstruction de l’identité pour les victimes, et les campagnes d’enregistrement de la “parole des gens” font toujours l’objet d’un enjeu social, qui souvent prime sur la construction d’un véritable objet de recherche.
Et les protagonistes d’enregistrements de prendre position, de manière pas toujours explicite, sur le rôle social de l’historien et de poser la question de ce qui garantit l’objectivité du récit de l’historien jusqu’à remettre en cause sa capacité d’atteindre son intention de reconstruction vraie du passé. Il s’agit alors de prendre en compte l’idéologie de la mémoire au nom de laquelle les témoins sont conviés à parler (dans un but émancipateur, ou encore pour empêcher le retour du fascisme, dans le cadre d’une pédagogie de la Shoah, par exemple), mais aussi la tension entre la vérité du témoin et la vérité de l’historien (au nom de quel principe supérieur l’historien aurait-il le droit de trahir les propos du témoin, alors que lui-même proposerait un récit toujours soumis à réélaboration?).
Cette remise en cause du métier d’historien amène certains à revendiquer l’équivalence de statut entre le témoin et l’historien, jugé de toute façon incapable de dire le vrai sur le passé.
Par l’affirmation “j’y étais”, le témoin s’institue trace de l’événement et demande à être cru sur parole, alors qu’un récit demande toujours vérification. Et plus encore. En disant “j’y étais”, le témoin veut amener l’auditeur à l’action parce qu’il se pense vecteur du sens à donner à l’avenir depuis la mise en place d’un nouveau rapport au temps, conçu comme un éternel passé, qui a entraîné notamment la nécessité de gérer les passés dans nos sociétés contemporaines.
Cette étude peut donc se lire à deux niveaux. Le premier consiste en la mise à jour de nouveaux liens entre sciences humaines et société civile depuis sa redéfinition, qui débute dans les années 1970. Le second propose une grille d’analyse, pour faire la critique de ce type particulier de sources que sont les témoignages, qui doit prendre en compte l’importance sociale de la connaissance du passé pour les protagonistes d’enregistrements, ainsi que leur position par rapport à la possibilité d’atteindre l’objectivité en histoire.
La structure interne des témoignages s’organise en trois registres de discours, qui sont fonction de l’identité du témoin. A une époque où la notion d’identité semble être devenue une notion indépassable, poser la question de la source orale, du témoignage conduit à se demander comment les sciences humaines pensent le monde, avec quels outils d’analyse et comment elles y participent.
Avec cette conscience que l’outil est déterminé par l’histoire-même des sciences humaines, la mise en dialogue de la littérature théorique issue de différentes disciplines, des questions qu’elle pose au métier d’historien et l’analyse d’un fonds particulier d’archives orales par la citation d’extraits, ce travail porte l’espoir de contribuer à clore certains débats au profit de meilleures recherches empiriques. En effet, les témoignages constituent un outil essentiel pour saisir l’histoire des institutions, des organisations dans lesquelles les relations humaines sont fondamentales, mais aussi pour faire l’histoire des mentalités en comprenant comment et par quoi, des gens pensent, à un moment donné, que leur identité est déterminée.
Au-delà de la place du témoin dans nos sociétés contemporaines, cette étude pose la question, qui n’est pas neuve, de la place du passé dans celles-ci et de la légitimité d’y chercher un sens pour nos actions politiques, dont la pédagogie de la Shoah apparaît comme paradigmatique.

Identiferoai:union.ndltd.org:BICfB/oai:ulb.ac.be:ETDULB:ULBetd-11252005-094537
Date23 September 2004
CreatorsWallenborn, Hélène
ContributorsHEIRWEGH, Jean-Jacques, JAUMAIN, Serge, GOTOVITCH, José, SCHREIBER Jean-Philippe, VOLDMAN, Danièle, DEBUSSCHER, Gilbert
PublisherUniversite Libre de Bruxelles
Source SetsBibliothèque interuniversitaire de la Communauté française de Belgique
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
Typetext
Formatapplication/pdf
Sourcehttp://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/available/ULBetd-11252005-094537/
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