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La théorie de la dissuasion et sa rationalité coûts/bénéfices: les remises en question d'une rationalité du risque

La théorie moderne de la dissuasion et la rationalité coûts/bénéfices sont étroitement liées l’une à l’autre. En fait, sans cette dernière, la théorie de la dissuasion n’aurait plus de fondements puisqu’elle repose sur la croyance voulant que sous certaines conditions — ayant trait notamment à sa sévérité et à sa certitude — la sanction pénale peut décourager quiconque aurait l’audace de défier la norme pénale. La rationalité coûts/bénéfices constitue donc cette prémisse selon laquelle l’être humain gouvernerait son comportement, incluant le comportement criminel, à partir d’un calcul fait de coûts et de bénéfices. La généralisation de la portée de cette théorie de la décision constitue notre objet de recherche. La question qui se pose est celle de savoir si la théorie elle-même n’aurait pas trop exagéré la portée de cette rationalité coûts-bénéfices. Il ne s’agit pas tant de remettre en question le fait qu’elle puisse opérer ici et là, mais bien de réfléchir aux limites de sa généralisation, de se poser la question de savoir si compte tenu des données dont on dispose il est encore raisonnable, aujourd’hui, d’entretenir cette croyance à l’effet que tous les comportements dits criminels sont opérés dans le cadre de cette rationalité coûts/bénéfices. C’est la question que nous posons dans cette recherche exploratoire dont l’objectif est de cerner une rationalité inédite développée théoriquement par Pires (2002) et vérifiée empiriquement par Dubé (2012) : la rationalité du risque.
Dans cette recherche, ces dernières considérations nous amènent à traiter les postulats de la rationalité coûts/bénéfices comme des hypothèses et non comme des faits. Cette posture épistémologique se situe en dehors du positivisme et réintroduit le doute dans l’observation. Ce doute est alors confronté à une empirie particulière : il ne s’agit plus de tester la sévérité ou la certitude des peines telles que les conçoivent le droit criminel, mais bien de comprendre comment, dans la commission de leurs infractions, les individus se les représentent, comment ils les perçoivent, et quel poids leur attribuent-ils dans la décision de commettre ou de commettre à nouveau une infraction. Dans cette perspective qui s’inspire directement des approches phénoménologiques, la dissuasion est ainsi conçue comme un phénomène d’abord et avant tout subjectif. Au plan méthodologique, nous avons cherché à saisir ces « réalités subjectives » à partir d’entretiens qualitatifs semi-dirigés réalisés auprès d’individus ayant commis des crimes graves. Dans ces entretiens, plusieurs postulats de la théorie de la dissuasion sont ébranlés sous le poids d’une phénoménologie faisant ressortir les traits et fondements de la rationalité du risque, rationalité qui réduit la portée de la rationalité coûts/bénéfices tout en frappant d’impertinence le réductionnisme qui associe à la qualité de la peine la qualité de l’effet dissuasif.
À partir de nos observations empiriques, nous avons élaboré quatre (4) idéaux-types de trajectoires décisionnelles : pris dans leur ensemble, ceux-ci suggèrent que l’effet dissuasif de la sanction pénale est loin d’être aussi déterminant que nous a habitués à le croire le droit criminel moderne. Les résultats de notre recherche semblent en effet indiquer que dans bien des cas, la menace de la conséquence pénale se retrouve neutralisée par la rationalité du risque qui intervient dans l’esprit de l’individu pour reconvertir la « certitude » du coût en incertitude, en probabilité. Le coût n’est alors plus vécu comme un coût, mais bien comme un risque, comme une possibilité parmi d’autres et que l’individu a l’impression de pouvoir contrôler. La dissuasion générale se retrouve ainsi fragilisée. Par ailleurs, face à la condamnation, lorsque l’individu l’associe à l’échec du passage à l’acte, la rationalité du risque intervient encore pour remettre en question non pas tant, dans l’absolu, la décision de commettre le crime, mais bien la manière de le commettre. L’échec est alors associé soit à une mauvaise décision (qui n’est pas celle de commettre le crime), soit au fruit du hasard contre lequel on ne pouvait rien. Dans un cas comme dans l’autre, la dissuasion spécifique se retrouve ainsi fragilisée.

Identiferoai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/24119
Date January 2013
CreatorsLabonté, Sébastien
ContributorsDubé, Richard
PublisherUniversité d'Ottawa / University of Ottawa
Source SetsUniversité d’Ottawa
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeThesis

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