L’article 2 de la loi n°94-43 du 18 janvier 1994, transférant l’organisation des soins en milieu carcéral du ministère de la Justice au service public hospitalier, a souvent été présenté comme une réforme de santé publique s’imposant au vu de l’état des prisons françaises. L’épidémie de sida et le volontarisme des ministres de la Santé suffiraient à rendre compte de ce qui a été qualifié de « révolution sanitaire ». Pourtant au-delà de ces facteurs conjoncturels, les conditions de possibilité de cette réforme s’inscrivent plus largement au croisement d’une double dynamique, professionnelle et carcérale, que cette recherche propose de retracer. En effet, la loi du 18 janvier 1994 est également la réforme d’une profession et d’un secteur d’action publique tous deux fortement contestés. La réforme de l’organisation des soins en prison marque l’échec d’une stratégie de spécialisation médicale, entendue comme la tentative opérée par certains praticiens d’occuper une position spécifique au sein du secteur médical.Initiée au début des années soixante par le premier Médecin-inspecteur des prisons, Georges Fully, l’affirmation d’une « médecine pénitentiaire » spécifique avait alors pour but de conférer aux praticiens une plus grande légitimité, et ainsi autonomie, à l’égard de leur employeur, l’Administration pénitentiaire. La spécialisation était ainsi conçue comme une ressource supplémentaire afin de mettre fin au tiraillement auquel étaient confrontés les praticiens travaillant en détention entre leur statut de vacataire du ministère de la Justice et celui de médecin-traitant des détenus. Toutefois, après la violente contestation des prisons survenue durant les années soixante-dix, l’affirmation d’une médecine pénitentiaire devient pour le nouveau Médecin-inspecteur, Solange Troisier, le moyen de légitimer un secteur d’action publique discrédité : l’organisation des soins en milieu carcéral. La consécration d’une médecine spécifique aux détenus est également pour elle le moyen de faire prévaloir les exigences du Code de procédure pénale sur celles issus du Code de déontologie. La spécialisation de la médecine pénitentiaire devient ainsi un moyen de s’autonomiser non pas du ministère de la Justice mais du secteur médical. La réforme de 1994 marque l’échec de cette tentative de spécialisation médicale. Elle résulte de la rencontre entre un « segment » de praticiens défendant l’idée d’une médecine non-spécifique avec quelques magistrats-militants, issus du Syndicat de la magistrature, en poste à l’Administration pénitentiaire favorables à un « décloisonnement » de l’institution carcérale. La loi du 18 janvier 1994 marque l’aboutissement de cette stratégie et l’échec de la tentative de spécialisation. A la « médecine pénitentiaire », désormais rattachée à un passé stigmatisant révolu, succéderait une « médecine exercée en milieu carcéral ».L’enjeu de cette thèse est par conséquent de retracer la sociogenèse d’une réforme à partir des dynamiques qui traversent un groupe professionnel, d’une part, et des transformations qui affectent un secteur d’action publique, d’autre part. On montrera également que la spécialisation de la médecine ne peut être comprise que si elle est articulée à d’autres logiques et qu’elle ne peut ainsi être réduite à sa seule dimension médicale. / Article 2 of French law No 94-43 of January 18, 1994, which concerns the transfer of the organization of health care in prisons from the Ministry of Justice to the public hospital service, has often been presented as a necessary public health reform considering the state of French prisons. The AIDS epidemic and the voluntary work of the Ministry of Health and the Ministry of Justice have revealed the need for what has been called a “sanitary revolution”. However, the conditions required for this reform would seem to require a dual approach: both professional and institutional, which this study will underline. Indeed, The French law of January 18, 1994 is also the reform of a profession, and of a sector of action, that is strongly criticized publicly. The reform of organization of health care in prisons underlines the failure of a strategy for a medical specialty, and is viewed by a few observers as an attempt by some practitioners to establish a particular position within the medical sector.Launched in the early sixties by the very first Doctor-inspector for prisons, Georges Fully, the assertion of specific “ health care in prison” was designed to give more legitimacy to the practitioners and therefore to allow them a greater level of autonomy from their employer, the prison administration. The specialization was designed to be an additional resource to help to put an end to the tension that the practitioners working in prison had to face, between their contract status at the Ministry of Justice and their status as general practitioners working in prisons . However, after the violent protests in prisons during the seventies, the organisation of “ health care in prisons” became for the new Doctor-inspector, Solange Troisier, a means of legitimizing the work of a discredited public service. The consecration of a specific medical practice for prisoners was also for her a means of asserting the requirements of the Code of Criminal Procedure over those of the Code of Medical Ethics. Thus the specialization of health care in prison became a means of empowerment not for the Ministry of Justice but for the medical sector.The reform of 1994 marks the failure of this attempt of medical specialization. It results from interactions between a group of practitioners defending the idea of a non-specific medical care and several militant magistrates, coming from the trade union of magistrates, working in the prison administration who were in favour of a opening-out of the penitentiary institution. The French law of January 18, 1994, highlights the accomplishment of this type of strategy and the failure to create a specialized health care in prison, the latter being then attached to a stigmatized and outdated past.The issue of this thesis is consequently to explore the sociogenesis of a reform from the dynamics which guide a professional group, on the one hand, and the evolutions which affect a public sector of action, on the other hand. We will also show that the specialization of medicine can be understood only if it is apprehended differently and subsequently cannot be reduced only to its medical dimension.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2013LYO20043 |
Date | 28 June 2013 |
Creators | Farges, Eric |
Contributors | Lyon 2, Pollet, Gilles |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
Page generated in 0.0027 seconds