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La liberté d'expression dans le réseau mondial de communication : propositions pour une théorie générale du droit d'accès à l'espace public privatisé / Freedom of Expression in the international communication network : proposals for a general theory of the right of access to privatised public spaces

1. La présente thèse de doctorat démontre la nécessité de la consécration jurisprudentielle ou législative d’un droit subjectif d’accès à l’espace public privatisé. Cette expression désigne l’appropriation privée des infrastructures de communication qui permettent l’échange et la discussion des informations et des idées sans lesquels la démocratie serait impossible. L’étude montre que le droit fondamental à la liberté d’expression, instrument juridique de la circulation des informations et des opinions, constitue le cadre légal d’une théorie générale du droit d’accès à l’espace public privatisé : il contient en germe le principe d’une prérogative individuelle d’utiliser les moyens de communication de masse pour contribuer aux débats d’intérêt public et permet d’en préciser les modalités concrètes.
2. Avant d’exposer le plan et la méthode de la démonstration, j’aimerais évoquer l’intuition qui a été à l’origine de ce travail. Des mouvements de contestation de l’omniprésence de la publicité commerciale dans l’espace public organisent parfois des opérations de barbouillage des affiches publicitaires. En octobre 2003, des militants ont mené une véritable campagne contre les immenses placards présents dans les stations du métro parisien. Le débat que voulaient porter ces activistes possède un caractère sérieux et concerne une dimension importante du vivre ensemble. Pour une partie de l’opinion, dont les militants antipub forment la minorité agissante , la surconsommation, l’envahissement de la publicité commerciale et les thèmes liés (surconsommation, domination de la pensée marchande) constituent des enjeux politiques majeurs. Cependant, le moyen d’expression choisi par les « antipub » se heurtait à des règles de droit. En avril 2004, le tribunal de grande instance de Paris a condamné neuf d’entre eux à payer à la Régie autonome des transports parisiens (RATP) des dommages-intérêt allant de 400 à 2000 € . Mais à défaut d’avoir les moyens financiers pour louer des espaces publicitaires où afficher leurs convictions, de quelle autre possibilité disposaient-ils pour faire émerger leurs opinions dans un espace public (l’objet même de leur message) où, à part des panneaux de circulation routière, on ne trouve guère d’autre forme de communication que la publicité commerciale ? Intuitivement, il me semblait que leur revendication avait, en ce qui concerne le mode d’expression choisi, sa part de justesse. Pour animer et nourrir un débat d’intérêt général avec efficacité, ces militants devaient, me semble-t-il, avoir le droit d’utiliser l’espace public.
3. Pour explorer et vérifier cette intuition, il était nécessaire de procéder à une analyse de la notion d’espace public en démocratie. La pensée de J. HABERMAS offre le cadre le plus fécond et le plus convaincant pour comprendre la relation entre le projet politique moderne et l’existence d’une société civile qui débat des affaires de la cité. Sur les pas de ce grand penseur, le premier chapitre de la thèse s’attache à montrer que l’espace public, enceinte de discussion du politique par la société civile, est le principe premier de la démocratisation du monde. Ce travail de philosophie politique démontre que le projet d’une société démocratique réclame d’être en permanence irrigué par les débats qui se mènent au sein de la sphère publique.
4. Il fallait ensuite, et c’est l’objet du second chapitre, prolonger cet acquis théorique par une enquête visant à identifier les structures qui, concrètement, permettent la discussion des questions politiques. Cette étape révèle que l’espace public comporte deux dimensions : l’espace public géographique (les rues, les places, les parcs publics) d’une part, l’espace public médiatique de l’autre. La caractéristique majeure de ce dernier réside dans l’existence d’un réseau mondial de communication interactif et ouvert à l’expression individuelle : c’est dans ce contexte contemporain qu’il fallait identifier les différents acteurs de la mise en débat des affaires de la cité. L’analyse a conduit au constat de l’appropriation privée de la plus grande partie des structures d’information et de discussion.
5. La première partie de la thèse se conclut ainsi par le constat que l’espace public est privatisé. Elle a puisé dans les ressources de la philosophie et de la sociologie afin d’identifier un chantier du droit, c’est-à-dire un thème où la pratique interpelle vivement l’ordre juridique et commande une analyse à nouveaux frais des réponses apportées par le droit.
6. La logique de la démonstration imposait d’en consacrer la deuxième partie à une étude approfondie du droit de la liberté d’expression. En effet, cette liberté fondamentale forme l’instrument juridique de la circulation des informations et des idées : elle garantit l’existence et le fonctionnement d’une structure de discussion des affaires publiques.
7. La liberté d’expression est un droit que ses utilisations extrêmement variées ont rendu complexe. Dans la mesure où sa proclamation textuelle dans le marbre d’une Constitution ou d’un traité international demeure insuffisante à permettre à elle seule une analyse du droit de parler librement, le recours à une analyse philosophique s’est imposé. Celle-ci révèle que la résolution d’un cas en matière de liberté d’expression se traduit inévitablement par ce qu’on peut appeler une distribution de coûts et d’avantages. Cet arbitrage qui produit des victimes et des vainqueurs exige d’être justifié. Les trois théories classiques que sont la recherche de la vérité, le service de la démocratie et l’autonomie individuelle apparaissent comme les trois registres d’argumentation qui permettent d’analyser et résoudre un problème de liberté d’expression. Le premier chapitre de la seconde partie montre la nécessité de penser ensemble ces trois registres dans le cadre d’une théorie écologique de la liberté d’expression : celle-ci désigne une analyse contextuelle des problèmes (la circulation d’un message doit être étudiée en relation avec l’environnement où il produit ses effets) et un principe de précaution (contre toute menace d’un appauvrissement de l’écosystème de la communication humaine, ce principe réclame un niveau élevé de protection des discours et messages les plus variés).
8. Le second chapitre de la deuxième partie consiste alors en une étude de droit comparé de la liberté d’expression. Les systèmes juridiques du droit de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit constitutionnel américain ont été retenus parce qu’ils s’offrent mutuellement, dans le cadre d’un dialogue décalé, une figure de l’altérité au sein du monde occidental . Confrontées à des problèmes similaires, les deux hautes juridictions que sont la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique ne les résolvent pas toujours de manière identique. Le réseau mondial de communication force pourtant leur confrontation. Il était dès lors pertinent de procéder à une analyse plus globale que les oppositions que l’on pointe généralement de façon isolée.
9. Pour mener à bien l’exercice de comparaison, il fallait disposer d’une méthode permettant la confrontation des solutions produites dans deux systèmes juridiques différents. Le travail s’est organisé autour d’une grille d’analyse qui peut être appliquée à tout litige en matière de liberté d’expression indépendamment de son système d’origine. Quatre variables ont été utilisées, qui sont présentes dans tout différend en ce domaine : l’auteur (1) d’un message (2) diffusé par un canal (3) et faisant l’objet d’une réaction (4). Les variations de ces quatre facteurs permettent d’expliquer, dans les deux systèmes juridiques, le niveau de protection de la liberté d’expression. Ils offraient ainsi un support efficace à la comparaison. L’analyse de droit comparé révèle qu’une ambition transversale réunit, en dépit de certaines divergences, les droits américain et européen de la liberté d’expression : une société démocratique requiert un débat public vigoureux, ce qui explique qu’un message qualifié de contribution à une controverse d’intérêt général mérite le plus haut degré de protection.
10. Il est alors devenu possible, puisque l’on connaissait le contexte de la démocratie contemporaine et le fonctionnement de la liberté d’expression, de consacrer la troisième partie de la thèse à l’étude du droit d’accès à l’espace public privatisé.
11. Le premier chapitre décrit une théorie générale du droit d’accès en rapportant les enseignements puisés dans l’étude du droit de la liberté d’expression au contexte contemporain d’une sphère publique dont les structures sont aux mains d’acteurs privés. L’analyse démontre qu’il est nécessaire que toute personne qui entend contribuer à un débat d’intérêt général dispose d’un droit individuel d’accès à l’espace public privatisé, lorsqu’il n’existe pas d’autre canal de communication également efficace. Elle montre également que ce droit d’accès à la propriété d’autrui est à la source d’un important surcroît de démocratie sans représenter un coût excessif pour les propriétaires des espaces publics privatisés. L’étude montre enfin que le droit constitutionnel américain pourrait accueillir une intervention législative consacrant une prérogative individuelle de participation aux débats publics, tandis que le droit européen de la liberté d’expression n’est pas loin d’avoir effectivement consacré le droit d’accès à l’espace public privatisé, présent en creux et disponible pour une mobilisation efficace à l’occasion d’un procès.
12. Dans le second chapitre de la troisième partie, mouvement final de la thèse, il fallait, pour mener à son terme une analyse qui s’est donné une visée pragmatique, déduire de la théorie générale les formes concrètes d’un droit d’accès aux différents espaces publics privatisés. Puisqu’Internet offre un support technologique idéal à la mise en pratique du droit d’accès à l’espace public privatisé, le travail devait s’inscrire dans la perspective d’une utilisation effective du potentiel de démocratisation du réseau mondial de communication. Il prend la forme de deux propositions destinées à nourrir la pratique du droit. Cherchant à sécuriser juridiquement les meilleures pratiques des acteurs du web, la première proposition décrit les modalités d’exercice du droit d’accès aux espaces publics privatisés. La seconde proposition prend acte de ce que le droit d’accès contraint des acteurs de la société de l’information à héberger des contenus sur lesquels ils n’exercent pas de maîtrise éditoriale : dans la prolongation des mécanismes légaux existants, elle précise les conditions procédurales d’une exonération, au profit des propriétaires des espaces publics privatisés, de la responsabilité liée aux contenus produits par les titulaires du droit d’accès.

Identiferoai:union.ndltd.org:BICfB/oai:ulb.ac.be:ETDULB:ULBetd-12222008-101212
Date09 January 2009
CreatorsDocquir, Pierre-François
ContributorsFrydman, Benoit, Ergec, Rusen, Rorive, Isabelle, Poullet, Yves, Haarscher, Guy
PublisherUniversite Libre de Bruxelles
Source SetsBibliothèque interuniversitaire de la Communauté française de Belgique
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
Typetext
Formatapplication/pdf
Sourcehttp://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/available/ULBetd-12222008-101212/
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