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Essai sur l'esthétique dans l'Immortalité de Milan Kundera

Le mémoire qui suit se présente comme un essai sur l'esthétique du roman l'Immortalité de Milan Kundera. Sans prétention, sans modèle théorique précis, il ne poursuit d'autre but que celui de comprendre comment le texte signifie par son articulation autour d'une double quête : l'une, esthétique, textuelle et langagière, appartient au narrateur et concerne la définition de la beauté ; l'autre, existentielle, appartient au personnage d'Agnès, en recherche de son être. Ces deux quêtes toutefois se lient au plan de la narration puisque toutes deux participent à l'immortalité, thématique première du roman. Engendrées par l'observation d'un geste d'adieu d'une sexagénaire à son jeune maître nageur, ces problématiques, dites de départ, sémiotisent les possibles de ce geste dans la suite du roman.

La structure propose en alternance des récits qui ont lieu à deux époques différentes : d'abord une fiction contemporaine de l'écriture, récit premier, ensuite, l'interprétation d'événements du passé lointain, celui de Goethe, le poète allemand. Cette structure impose une conception de la beauté et de l'être en rapport avec le temps puisque les mêmes thèmes traversent l'un et l'autre récit. Ce temps n'est pas celui du quotidien, découpé, organisé par les activités humaines. C'est plutôt un temps sans chronologie, celui de la mémoire, où se condensent les souvenirs sous forme d'images.

Le récit contemporain intègre un poème goethéen, pour éventuellement le dialogiser et en faire le moment paroxystique du roman. Sur tous les sommets le repos devient ainsi cet instant où Agnès, participant de la nature, a accès à son être dans l'abolition de la chronologie et dans la frivolité, dans la subjectivité de la conscience. La quête esthétique et la quête existentielle se fondent dans ce moment de poésie en prose suscitant une impression de déjà-vu.

Du déjà-vu à l'insolite, il faut évaluer l'action du professeur Avenarius et sa portée dans le développement du texte : cet ami du narrateur, qui semble agir de façon marginale et autonome, hors du contrôle de l'instance auctoriale, s'impose comme lecteur modèle du roman. Empiriste, destructeur d'images, ses activités nocturnes et sa lucide vision du monde entraînent le narrateur vers une définition humanisée de la beauté, une définition relativisée, alors qu'il s'engageait vers un absolu du langage. Il le fait travailler dans les limites anthropologiques, c'est-à-dire dans les limites de la capacité du lecteur à se saisir de la totalité de son discours. D'autre part, il introduit une logique illogique dans le récit, à première vue, avant de participer plus ou moins directement à la formulation de deux métaphores-définition : celle de la fontaine, où Agnès accède à l'être, et la sienne propre, qui le nomme en tant que joueur mélancolique, métaphore qui sied aussi au narrateur et à sa geste narrative. Le jeu s'avère une solution à l'impossibilité de vivre dans un monde avec lequel on n'est pas d'accord.

Les thèmes abordés par le texte (dont les principaux qui guident l'essai sont l'être, la beauté, le temps, l'image, l'érotisme, l'amour) sont tous développés dans un système d'oppositions binaire. De la sorte, chacun d'entre eux est polarisé par au moins deux acceptions philosophiques et incarné par deux personnages, souvent sur les deux niveaux de récit, donc à deux périodes historiques distinctes. Un personnage vient cependant relier ces deux temps de l'histoire et opérer une conciliation des quêtes esthétique et existentielle. Il s'agit de l'amant d'Agnès, lequel vient sémiotiser l'érotisme du geste de la sexagénaire en plus de favoriser l'émergence d'un discours sur le roman, dans ses nature et fonction.

En ce sens, l'Immortalité apparaît comme un roman qui, d'une part, cherche à définir la beauté et l'être, qu'il énonce dans leur rapport à l'immortalité, en plus de proposer une conception du roman. L'art romanesque, du point de vue de Kundera et en conformité à ce qu'il énonce dans ses essais, doit tenter de redéfinir et de renommer la beauté dans ses rapports à l'être et au temps, pour se poser ainsi en tant que mémoire collective dans un monde d'oubli, lutte contre l'oubli de la beauté et de l'être, dans un monde de vitesse. Le narrateur, qui dit rêver d'écrire un grand livre sur les mathématiques existentielles, réussit son pari : le lent parcours du texte, l'alternance des récits et de leurs époques historiques respectives, exigent un effort mémoriel considérable dont il ne reste que la beauté poétique. Le charme suranné du personnage d'Agnès en quête de son être, confronté à la modernité représentée par l'hégémonie de l'image, accorde au roman une saveur passéiste, bien que quelques procédés post-modernes soient utilisés.

L'ironie, le paradoxe, la légèreté servent ce texte qui pose des questions fondamentales d'un point de vue littéraire et philosophique.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QCU.763
Date January 2003
CreatorsCartier, Annie
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
Detected LanguageFrench
TypeThèse ou mémoire de l'UQAC, NonPeerReviewed
Formatapplication/pdf
Relationhttp://constellation.uqac.ca/763/

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