Mach, Musil, Wittgenstein et le Moi

Le présent travail vise à présenter la conception de l'intériorité que partagent Robert Musil et Ludwig Wittgenstein. Pour être en mesure d'apprécier à sa juste valeur l'originalité de leur pensée, il importe de comprendre que le sort du Moi, à Vienne, au début du vingtième siècle, était pour le moins incertain. À l'époque, on hésitait en effet entre deux tendances: soit rejeter complètement l'existence du Moi, soit le réifier et le recouvrir de concepts obscurs. La façon dont Musil et Wittgenstein conçoivent le rapport entre l'intérieur et l'extérieur se situe en marge de ces grands courants philosophiques, puisqu'elle n'endosse ni la thèse introspectionniste, ni la thèse comportementaliste. Pour bien faire comprendre le cadre conceptuel dans lequel s'inscrit leur pensée, nous avons mis en évidence la pensée de Ernst Mach qui a lui aussi cherché à circonscrire la vraie nature du Moi. Ne trouvant nul part une telle chose, il prononça son célèbre verdict: « Le Moi ne peut, en aucun cas, être sauvé». Musil et Wittgenstein ne vont pas aussi loin dans leur redéfinition du Moi, même s'ils présentent tous les deux une version minimale de l'intériorité. Le Moi, selon eux, doit être compris davantage comme un processus que comme une chose. Ce qui disparaît complètement chez Mach réapparaît ainsi sous une forme procédurale. Ainsi le Moi n'est pas un phénomène psychique, ni un sentiment interne, mais une capacité à transformer en pensée notre expérience du monde. Musil et Wittgenstein sont de ceux qui partagent la conviction qu'il existe bien quelque chose qui, dans l'expérience que nous avons du monde, dépasse le simple comportement, mais qu'il est difficile d'en parler directement sans s'empêtrer dans des confusions langagières. Le Moi dont parlent Musil et Wittgenstein est un Moi entièrement tourné vers l'extérieur, et pour le comprendre, il est vain de tenter de l'observer de l'intérieur. C'est plutôt par ses manifestations externes qu'il est possible de voir se profiler cette chose qui réagit d'une manière toute personnelle à ce qu'il trouve autour de lui. Nous ne prétendons pas, par ce travail, résoudre tous les problèmes philosophiques liés à la question de l'intériorité, mais plutôt exposer une conception qui tienne compte de la nature créatrice du Moi. Ce travail cherche aussi à montrer que la définition de l'intériorité que proposent Musil et Wittgenstein comporte une dimension éthique importante. En effet, cesser de concevoir l'intériorité comme quelque chose d'immuable, et la concevoir plutôt comme un processus, peut possiblement nous permettre, c'est du moins ce que croient Musil et Wittgenstein, de mieux vivre. Le pari qu'ils font est qu'une conception de l'intériorité qui nie l'existence matérielle du Moi, mais qui lui confère tout de même la fonction de donner un sens à l'expérience, oblige à se concevoir soi-même comme un processus qui évolue au fil de l'expérience. Aussi ne doit-on pas juger son Moi propre, de même que le Moi d'autrui, avec la sévérité des choses immuables, puisqu'il est toujours possible que le Moi et le monde prennent des formes différentes. Contre le pessimisme ambiant du début du vingtième siècle, et contre la nostalgie du monde d'hier, Musil et Wittgenstein proposent de retourner à la table de travail, et de faire de l'ordre dans nos conceptions du monde. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Intériorité, Moi, Éthique, Invention, Mach, Musil, Wittgenstein.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.2334
Date January 2009
CreatorsSirois, Léane
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
Detected LanguageFrench
TypeMémoire accepté, NonPeerReviewed
Formatapplication/pdf
Relationhttp://www.archipel.uqam.ca/2334/

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