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Genèse et nature de la suicidologieAujard, Marie-France 12 April 2018 (has links)
La suicidologie sera présentée comme une technologie de la société dont les principales opérations visent à articuler l'organisation qui la promeut aux pratiques sociales du contrôle et aux phénomènes qui lui servent de prétexte. On soutiendra que la suicidologie a fait disparaître le suicide en tant qu'objet d'étude et on exposera comment elle a rompu aussi bien avec la compréhension traditionnelle du suicide qu'avec la saisie phénoménologique immanente à la vie sociale. La suicidologie, en effet, est un ensemble d'opérations technoscientifiques d'intervention prenant après coup le nom et le statut de science ; par le développement de ses centres de prévention, elle est devenue une pratique d'intervention sociale et elle s'est aussi, par ses forums, constituée en réseau. Enfin, par son ONG, l'Association internationale de prévention du suicide (IASP), elle est bien intégrée dans une pratique non gouvernementale technico-institutionalisée de gestion de l'information et de réglementation concernant «la personne vulnérable à potentiel suicidaire» et ce, à l'échelle mondiale. Cet ensemble d'éléments en relation les uns avec les autres évoluent de telle façon que toute interaction de l'un des éléments avec les autres provoque une évolution de l'ensemble et que toute modification de l'ensemble se répercute sur chaque élément créant un processus de structuration et de changement propre à un système. Avec de tels outils innovateurs, la suicidologie prétend gérer le suicide au niveau local, national et international sans comprendre l'acte suicidaire, celui-ci étant réduit à une somme de souffrances qu'il est possible d'éviter comme le prône le fondateur américain de la suicidologie, Edwin Shneidman. Suivant en cela le modèle de la société thérapeutique américaine des années soixante, Shneidman a conduit des programmes d'éducation populaires sur les conduites à tenir en cas de suicide et des experts pour les implanter et les exporter. Ces outils de gestion agissent, au niveau du comportement individuel, pour transformer la mauvaise image qu'a de lui-même le suicidaire, en une image positive de «bien-être de soi-même » et, au niveau collectif, ils incitent au quotidien la collectivité à prendre en charge le souci de l'autre en procédant à la formation d'observateurs des conduites des gens de leurs milieux, observateurs capables d'alerter les thérapeutes et de «faire soigner». Cet objectif culturel de planification visant le « bien-être » en ce qui concerne la conduite humaine et ses aléas, d'abord soutenu par la politique sociale de l'État américain, est effectivement en train de se réaliser aujourd'hui, supporté qu'il est par le moyen des réseaux sociaux, technologiques et technocratiques dont dispose la suicidologie et cela non seulement aux États-Unis d'où la suicidologie provient, mais aussi dans tout pays où de telles pratiques thérapeutiques de gestion du comportement sont importées et s'implantent.
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