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C'est en traduisant qu'on devient traduiseron / You become a translator by translating

Vicari, Eliana 19 December 2013 (has links)
Articulée en trois chapitres, cette thèse qui vise à endiguer la toute-puissance de la traductologie porte, d’abord, sur l’analyse d’un extrait de Simenon inséré dans La belle Hortense, puis sur l’examen des erreurs relevées dans 40 versions d’étudiants de l’université de Venise confrontés avec un passage d’Agnès Desarthe et, enfin, sur la traduction du « Maladroit » de Raymond Queneau par Umberto Eco. Comme le titre l’indique, cette thèse revendique l’importance de la pratique. Ce n’est pas à force d’étudier des grammaires qu’un jour on se réveille écrivain, une plume ou un clavier à la main. De même, c’est une évidence, on ne devient pas traducteur sans traduire, bien que l’exercice ne puisse garantir l’excellence du résultat. C’est un truisme, une lapalissade dont il n’est pas inutile de rappeler la vérité, à un moment où la traductologie devient de plus en plus envahissante. Comme toute théorie, elle tend à l’abstraction et à la généralisation, tandis que la pratique, elle, se confronte au hic et nunc. C’est pour cela même qu’elle risque de se révéler non seulement inadéquate, mais aussi dangereuse. Car la littérature, loin d’être l’application de la norme, est le lieu de l’écart. Or, il est difficile de résister à l’autorité d’un dictionnaire, d’un traductologue ou d’un critique, plus difficile encore s’ils sont auréolés de prestige. Toute traduction comporte deux phases. La première est axée sur une analyse stylistique du texte-source et implique une excellente maîtrise de la langue et de la culture de son monde d’origine. C’est le moment de l’esclavage où le traducteur est complètement au service de l’auteur, où il cherche à comprendre sans juger, où – tel un amoureux – il écoute sa voix pour pouvoir l’interpréter. Mais le moment de l’esclavage qui enchaîne au texte originel est aussi le moment de l’apprentissage, le moment où le traducteur peut pénétrer les secrets d’une écriture d’auteur. Sans cette phase préalable, on ne devrait même pas parler de traduction. Si on ne lit pas attentivement – à la loupe – l’œuvre qu’on doit transplanter ou si on ne connaît pas assez la matière dont elle est faite, on finit par se fier aux dictionnaires, par appliquer des recettes toutes faites. C’est une autre voix que celle de l’auteur que l’on entendra, alors, au-delà des frontières. C’est dans cette phase que des préjugés ou des brouillages théoriques assez enracinés ou assez puissants sont intervenus, d’après mon analyse, dans les extraits examinés. Ils ont entraîné la banalisation de Simenon (mais non de Roubaud qui emprunte ses mots) aussi bien que la plupart des incorrections des étudiants (souvent induites paradoxalement par l’usage du dictionnaire). Ils ont poussé également Umberto Eco à remanier radicalement un texte de Raymond Queneau qu’il avait considéré comme l’un des moins réussis, alors qu’il est sans aucun doute l’un des plus importants – et peut-être le plus important - des Exercices de style. Dans la deuxième phase, le traducteur qui accepte d’écrire sous contrainte – sous les contraintes que lui impose le texte-source – connaît aussi la joie de la liberté. Car la contrainte le libérera et le poussera à exploiter toutes les potentialités insoupçonnées, toutes les ressources de la langue et de la culture d’arrivée pour rendre le plus fidèlement la voix de l’auteur, auquel l’analyse et la compréhension l’ont enchaîné. C’est un effort de Sisyphe, mais qui peut rendre heureux. Car c’est aussi en traduisant qu’on devient écriveron. / Set out in three chapters, this thesis which has the aim of investigating the omniscience of translation, starts out by analyzing an extract from Simenon in La Belle Hortense then moves to a study of the mistakes made in 40 translations by students at the University of Venice from a text by Agnès Desarthe and, finally, looks at the translation by Umberto Eco of Raymond Queneau's "Maladroit".As its title suggests, this thesis underlines the importance of practice. One does not suddenly wake up a writer one morning, a pen at the ready simply because one has studied grammar.At the same time one obviously does not become a translator without translating, although practice in itself does not guarantee the excellence of the outcome. This is a truism worth remembering at a moment when translation studies are becoming more and more invasive. Like every theory it tends towards abstraction and generalization while practice concerns itself with the here and now. But it is exactly for this that it risks revealing itself not only as inadequate but also dangerous. For literature, far from being the application of the norm, is where the gap exists. However it is difficult to resist the authority of a dictionary, of a translation expert or of a critic, even more so if they are surrounded by a halo of prestige.Every translation consists of two phases. The first is based on a stylistic analysis of the source text and implies an excellent mastery of the language and of the culture from where it originates. This is the moment of enslavement when the translator is at the complete service of the author, where he tries to understand without judging, like a lover, he listens to his voice so that he can interpret it. But the stage of enslavement which chains one to the original text is also the moment of apprenticeship, the moment when the translator can enter into the secrets of an author's writing. Without this initial phase, one should not even speak of translation. If one does not read carefully, as under a magnifying glass, the work that one must transplant and where one does not know sufficiently what makes it up, one ends up by relying too much on dictionaries, to apply ready-made solutions. There is another voice apart from the author's that one must hear, beyond the normal boundaries.It is in this phase that well-rooted and strong prejudices or theoretical garble, according to my analysis, have intervened in the extracts examined. They have caused a banalisation of Simenon (but not of Roubaud who borrowed his words) as well as most of the errors of the students (and often brought about, paradoxically, the use of dictionaries). In the same way they pushed Umberto Eco to meddle radically with a text of Raymond Queneau that he considered one of the latter's less successful ones, even though it is one of the most important, and perhaps the most important, in Exercices de style.In the second phase, the translator who accepts to write under constraint, under the constraints imposed by the source text, also knows the joy of liberty. Because the constraint will free him and push him to take full advantage of unexpected potentiality, of all the resources of the language and culture and to render the voice of the author in the most faithful way, and to whom the analysis and comprehension chained him. It is the work of Sisyphus but which can create contentment. Because it is also by translating that one becomes a writer.

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