Le caractère très fragmentaire et exclusivement gréco-romain des sources littéraires relatives aux Sabins leur confère une image biaisée et unidimensionnelle de rudes pasteurs guerriers. La plupart des études modernes se limitèrent ainsi aux apports sabins légués à la civilisation romaine. Cependant, le dynamisme des fouilles archéologiques récentes autorise maintenant des analyses plus nuancées, ayant pour objet les Sabins eux-mêmes. Fondée sur l'ensemble des données littéraires, archéologiques et épigraphiques, notre thèse aborde plus spécifiquement la construction identitaire de l'ethnie sabine archaïque, à travers les critères du territoire, de la langue, de l'ascendance, de l'économie et de l'organisation sociopolitique. La centralité stratégique de la Sabine en Italie et l'extension de son réseau hydrographique et de ses voies de transhumance permirent à ses habitants de jouer un rôle privilégié d'intermédiaire commercial. L'économie sabine ne se limitait donc pas à l'agriculture et à l'élevage traditionnels, comme l'illustrent bien les riches trousseaux de la nécropole du centre de redistribution régional et de productions locales que fut Poggio Sommavilla. De plus, la richesse des tombes découvertes en Sabine témoigne de la participation de son élite à la koinè aristocratique méditerranéenne de l'époque archaïque. Néanmoins, le VIe s. av. J.-C. présente un net clivage entre la Sabine tibérine, sédentaire et partiellement urbanisée, et la Sabine apennine des villages et des pasteurs transhumants, car l'évolution du nomen sabinum est dominée par les forces antagonistes d'unité et de morcellement : les communautés apenniniques relativement homogènes de l'âge du bronze cédèrent la place à la formation d'ethnies différenciées sur le sol italien, à l'âge du fer et à l'époque archaïque. Cependant, la Grande Sabine archaïque portait déjà les germes de la fragmentation en ethnies régionales qui survint aux Vle -IVe s. av. J.-C, alors que les Ombriens, les Picènes, les Vestins, les Samnites, et autres peuples sabelliens se détachent graduellement du cep commun. Aux lle -ler s. av. J.-C, Rome viendra finalement brouiller les pistes en récupérant cette identité sabine à son propre compte, fixant par écrit la tradition orale sabine, non sans l'avoir préalablement adaptée à ses propres besoins identitaires / Québec Université Laval, Bibliothèque 2014