"À notre connaissance, la question du suicide militaire a très peu été traitée en sociologie. Seul Durkheim, semble-t-il, se pencha sur le sujet, croyant pouvoir montrer que le suicide militaire en était un de type altruiste. Longtemps ignoré, le suicide militaire est depuis quelques années l'objet d'une attention médiatique inédite au Canada comme dans le reste du monde. Fortement pointée du doigt depuis une quinzaine d'années par les articles de presse, l'armée canadienne se défend de son côté d'être une institution où l'on se suicide plus que dans la société civile. La présente étude nous paraît confirmer que les taux de suicide des membres du personnel des Forces canadiennes ne sont pas supérieurs à ceux qu'on retrouve dans la société canadienne. Le fait d'une absence de sursuicidité des hommes et des femmes engagés dans l'armée, à l'opposé de ce qui se passait à l'époque de Durkheim, se laisse comprendre si on fait l'hypothèse que l'armée, qui était bien une institution à part dans la société du 19e siècle, se rapproche de plus en plus de la société civile et s'imprègne des valeurs dominantes de cette dernière. On parlera ainsi d'une armée canadienne qui se civilianise."

Cette recherche porte sur l'analyse du problème du drame du suicide dans les Forces armées canadiennes. Ainsi, la question de recherche est : Pourquoi certains militaires, après avoir survécu à l horreur de la guerre lors de missions de paix ou de combat sous l égide de 1 ONU ou de l OTAN, perdent leurs repères psychologiques ou spirituels et se donnent la mort à leur retour au pays ? De cette question de recherche résulte l'enjeu théologique, soit : Lors de grandes tragédies, pourquoi Dieu semble briller par son absence ? Ultimement, nous tenterons de trouver des éléments qui découlent de notre tentative d'interprétation théologique : Quand la vie perd tout son sens, une parole peut-elle encore émerger du chaos ? Cette recherche a été réalisée en tenant compte de l'importance de creuser le goût de vivre aux niveaux psycho-anthropologique (sens de la vie) et psycho-spirituel (sens religieux), en lien avec l'absence de Dieu. En premier lieu, l'objectif est de tenter d'aider les personnes souffrantes et blessées à s'ancrer dans la vie, afin d'en trouver un nouveau sens, et de leur donner l'opportunité de convertir leurs représentations initiales de Dieu, et de développer leur resilience spirituelle, le cas échéant. Ceci afin de normaliser le doute et l'indignation ressentis chez certains militaires, à leur retour de mission, face à une éclipse spirituelle (crise ou perte de la foi) et à l'absence de Dieu qui n'a pu intervenir pour faire cesser la cruauté, les horreurs, les injustices et la haine qu'engendrent inéluctablement les conflits armés. Nous voulons plus particulièrement explorer plus à fond la trame de notre question théologique : Dieu est-il absent ou ailleurs que là où nous pensions le trouver ? Également, cette recherche a été instruite dans le but d'examiner avec plus d'intensité certaines notions susceptibles de conduire à une meilleure compréhension du drame du suicide chez les militaires des Forces canadiennes. Or. en adoptant une démarche ethnobiographique basée sur neuf entrevues de militaires ayant eu des conduites suicidaires, d'un journal de guerre qui a été rédigé lors de notre mission en Afghanistan, d'un récit de vie autobiographique d'un militaire qui a été confronté à une détresse psychologique et spirituelle, et envahi par des idées suicidaires et qui, bien qu'il soit encore aux prises avec cette réalité, a réussi à s'en sortir; ce document veut apporter une contribution positive à ceux et celles qui ont vécu la même trajectoire de vie.