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Pierre Guyotat devant l'histoire : politique du sujet autobiographique dans Coma, Formation et Arrière-fond

Lefort-Favreau, Julien 12 1900 (has links) (PDF)
Cette thèse de doctorat vise à identifier la politique de la littérature dans la trilogie autobiographique de Pierre Guyotat formée par Coma (2006), Formation (2007) et Arrière-fond (2010). L'œuvre de Pierre Guyotat s'articule autour d'une scène originaire d'affrontement entre exploiteurs et exploités qui se présente à la fois comme une poétique et une pensée politique. Selon les moments de l'œuvre, elle prend la forme d'une opposition entre putains et proxénètes, entre généraux et soldats, entre violeurs et violés, entre maîtres et esclaves. Les amis et les ennemis y sont toujours divisés et le vivre-ensemble n'y est pas fondé sur des rapports idylliques entre les sujets, mais plutôt sur un partage, entendu ici au sens de division. Cette inégalité fonde une communauté littéraire peuplée d'un ensemble hétérogène de figures à la fois héroïques et réversibles. À partir de ce noyau, Guyotat met en place un univers où s'expriment les injustices du monde et les rapports de domination qui le traversent. La première partie de la thèse propose une présentation de l'œuvre de Guyotat. Entre la fin des années soixante, où Éden, Éden, Éden est considéré « libre de tout sujet, de tout objet, de tout symbole » par Michel Foucault et comme un texte sans héros qui se résumerait à « l'aventure même du signifiant » par Roland Barthes, et la trilogie autobiographique, il y a un immense fossé. C'est cet écart qui justifie l'analyse de la trilogie selon une méthode à rebours : partir des textes récents pour mettre en place un cadre qui permet de repenser les œuvres anciennes et, inversement, considérer l'ensemble de l'œuvre pour mieux saisir la spécificité de ses manifestations contemporaines. La première partie expose également les fondements théoriques qui gouvernent notre réflexion sur les rapports entre littérature et politique. Notre travail s'appuie principalement sur les théories de Jacques Rancière qui envisagent l'art dans sa portée émancipatrice hors des paramètres de l'engagement littéraire ou d'une téléologie avant-gardiste. La deuxième partie expose d'abord la constitution du sujet en établissant une typologie des différentes modalités énonciatives et représentatives qui en balisent l'action. Nous observons la construction d'un sujet autobiographique, notamment par le dévoilement d'un intertexte critique avec certains textes canoniques, mais aussi en envisageant la trilogie comme une scène d'aveu. Coma et Arrière-fond sont orientés vers une utopie du Verbe et, pourtant, ils sont écrits dans une « langue normative ». La trilogie témoigne de l'échec du projet absolu du Verbe, avouant l'impuissance de la littérature. Ce clivage entre le contenu de la représentation et la forme de l'énonciation met en lumière les limites et la puissance du Verbe. Nous exposerons finalement la manière dont le sujet est captif de son propre corps, tout comme il est sous le joug des mots. Si les mots sont aussi des outils d'émancipation, il en est de même pour le corps, qui devient un lieu potentiel de résistance. Lorsque Guyotat représente un corps individuel assujetti à des dispositifs collectifs, il place en effet le sujet sur une scène historique. La biopolitique, terme issu de la théorie de Foucault, désigne bien le geste de Guyotat qui fait de la massification des corps à la fois une pratique disciplinaire et une découpe de l'histoire. Chacun des nouages exposés met en jeu des formes spécifiques de subjectivation, tendues entre identification et désidentification. Trois modes de subjectivation sont mis au jour : le retour réflexif du sujet à soi, l'assujettissement du sujet au langage et le rapport problématique du sujet à son corps et au monde. La troisième partie concerne d'abord la mise en œuvre d'une temporalité spécifique à la trilogie. L'énonciation au présent qui caractérise ces trois récits impose un regard singulier sur l'histoire. L'idée de messianisme du présent, que Walter Benjamin élabore dans ses ultimes fragments, nous aide à penser les réminiscences du passé dans le présent qui structurent la trilogie. L'interprétation figurative analysée par Erich Auerbach dans Figura nous éclaire quant à elle sur le temps déployé dans la trilogie. Comme les Pères de l'Église qui voient dans la figura une trace de l'événement historique dont l'énonciation dans la Bible a un caractère à la fois préfiguratif et commémoratif, liant le passé à l'avenir, Guyotat décrit des « figures » de l'histoire, dont l'énonciation au présent revêt un caractère à la fois prophétique et mémoriel. Nous analysons par la suite les figures de Jeanne d'Arc, de Charles de Gaulle ainsi que des membres de la famille qui incarnent un certain patriotisme, mais également une politique de la résistance qui complexifie souvent le sentiment d'appartenance à la France. Ces figures sont gouvernées par les lois d'alternance et de réversibilité qui infléchissent leur récupération mémorielle. La transmission de l'histoire par ses personnages révèle également son caractère sensible. Le « paysage » et la « géographie » manifestent une spatialisation de l'histoire, qui inscrit le passé dans différents lieux. Guyotat circonscrit les traces que l'histoire laisse dans le présent, déployant un rapport aux lieux de mémoire qui n'est pas strictement patrimonial. Il assimile l'histoire par les détails qui la composent et rend ses matériaux appropriables, perceptibles, disponibles. Le partage entre l'histoire légitime et l'histoire illégitime est sans cesse remis en question, l'écriture de Guyotat oscillant entre l'histoire et la mémoire, entre son expérience subjective et la présence fantomatique de la « masse historique des corps exploités ». ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Pierre Guyotat, politique de la littérature, littérature française contemporaine, société, langage, corps, histoire, mémoire, sujet, subjectivation, Jacques Rancière, Tel Quel, textualisme.

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