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Le reporter comme théoricien : une dimension négligée du journalisme politiqueLavallée, Hugo 08 1900 (has links)
Cette thèse examine les théories politiques profanes qui sont mises de l’avant dans les articles et les reportages des journalistes politiques. Par «théories profanes», nous entendons les constructions intellectuelles informelles qui aident les journalistes à appréhender et à concevoir la vie politique. Nous les définissons ici par opposition aux théories scientifiques des universitaires.
Ces théories sont examinées sous trois angles différents, au travers de trois articles scientifiques distincts. Notre principal objectif est de déterminer dans quelle mesure et pour quelles raisons les théories journalistiques profanes convergent ou divergent des théories universitaires scientifiques. Au premier chapitre, nous nous demandons ce que les journalistes font, en nous attardant aux critères sur lesquels ces derniers s’appuient pour analyser la personnalité des chefs de partis politiques. Plus précisément, nous cherchons à savoir si les journalistes tiennent compte des considérations politiques jugées importantes par les citoyens. Afin d’atteindre cet objectif, nous réalisons une analyse de contenu des reportages diffusés dans les grands bulletins d’information télévisés au sujet de l’ex-chef du Parti québécois, André Boisclair.
Au second chapitre, nous poussons notre réflexion un cran plus loin en nous demandant ce que les journalistes disent précisément dans les théories qu’ils développent. Pour ce faire, nous examinons les théories développées par les journalistes pour expliquer le comportement des parlementaires. De manière spécifique, nous contrastons les théories académiques de la dissidence politique avec ce qui s’est écrit dans les grands journaux canadiens à l’occasion de quatre votes particulièrement serrés ayant eu lieu à la Chambre des communes à propos de la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan et de l’abolition du registre des armes d’épaule.
Enfin, nous nous attardons à ce que les journalistes pensent de leurs propres théories, en les interrogeant sur les raisons qui les poussent à mettre ces dernières de l’avant et sur la manière dont ils s’y prennent pour les développer. Nous nous attardons aux mécanismes qui rythment la pensée des journalistes et nous portons notre regard sur les matériaux dont ceux-ci se servent pour construire les théories qu’ils incluent dans leurs reportages. Pour ce faire, nous réalisons des entrevues semi-dirigées avec des journalistes politiques affectés à la couverture de l’élection présidentielle française de 2012. Nos questions portent notamment sur le chemin intellectuel qu’ils parcourent lorsqu’ils tentent de comprendre et d’expliquer le comportement des politiciens, ainsi que sur la façon dont ils conçoivent les campagnes électorales et le rôle qu’ils sont appelés à jouer à l’intérieur de celles-ci.
Nos conclusions sont à l’effet que les journalistes construisent bel et bien des théories profanes de la vie politique afin d’aller au-delà des simples comptes rendus factuels et de répondre à ce qu’ils considèrent être une nécessité de leur travail. Les théories qu’ils mettent de l’avant tiennent compte des considérations politiques jugées importantes par les électeurs, et elles ont des traits communs avec certaines des idées sous-tendues par les théories scientifiques des universitaires. Ces théories s’articulent autour des observations que font les journalistes, et des conversations auxquelles ils prennent part ou dont ils sont témoins. Elles reflètent la plupart du temps l’expérience ou le vécu du journaliste. Les théories journalistiques profanes se distinguent toutefois des théories scientifiques en ce qu’elles ne sont ni formalisées, ni explicitement nommées. Elles n’ont pas la sophistication des théories universitaires, et elles sont parfois reléguées à l’arrière-plan de la couverture médiatique au bénéfice d’aspects plus théâtraux de la vie politique. Les journalistes développent par contre des mécanismes pour valider leurs théories.
La contribution de cette thèse à l’avancement des connaissances se manifeste sur les plans conceptuel, théorique et empirique. Sur le plan conceptuel, nous étayons davantage le concept des théories journalistiques. Notre thèse permet de mieux comprendre la couverture médiatique de la politique, en mettant en lumière un de ses aspects jusqu’ici négligé par les politologues, soit le fait que les journalistes construisent et utilisent des théories politiques qui leur sont propres pour appréhender l’univers au sein duquel ils évoluent. Sur le plan théorique, nous faisons ressortir les objectifs et les impératifs qui guident les journalistes qui développent ces théories. Enfin, sur le plan empirique, nous donnons pour une rare fois l’occasion aux journalistes de s’exprimer sur la manière dont ils perçoivent leur propre travail. / This thesis examines the lay theories that political journalists put forth in their articles and analyses. “Lay theories” should be understood to mean the informal intellectual constructions that help journalists make sense of political life, in opposition to political scientists’ academic theories.
These theories are investigated from three different perspectives, which are presented in three separate academic articles. The goal is to determine to what extent and for what reasons journalistic lay theories converge with or diverge from the academic scientific theories. The first chapter examines what journalists do, by looking at the criteria on which reporters rely in order to build their theories about the personality of political leaders. More precisely, the chapter aims at determining if these theories are based on political considerations deemed important by citizens. More specifically, this chapter explores the character traits to which journalists resort when they theorize and assess the personality of political leaders. To do so, it analyses reports broadcast on television news programs about former Parti Québécois leader André Boisclair.
The following chapter goes further into how lay theories are understood by looking at what journalists say in these theories. Focussing on the theories developed by journalists to explain MP behaviour, it compares the academic literature on intra-patry dissent with what has been written on the subject in Canada’s national newspapers. More precisely, it studies four particularly divisive votes that took place in the House of Commons about the extension of the Canadian mission in Afghanistan and the abolition of the long-gun registry.
The third and last chapter studies what journalists think of their own theories by questioning them on their reasons for building those theories. In other words, the third chapter studies the intellectual underpinnings of these lay theories. It examines the thinking patterns of journalists and investigates the material that they use to build their theories. Interviews conducted with political journalists who covered France’s 2012 presidential election provide the data for this chapter. Questions are asked about the way in which reporters see electoral campaigns and the role journalists play in them.
This thesis shows that journalists do indeed construct lay theories that go beyond strictly factual accounts of political events, in order to fulfil what they consider a job necessity. The theories they put forward take into account political considerations deemed relevant by citizens and share common ground with ideas put forth by academics. Journalists often articulate these theories on the basis of what they observe and hear around them. These theories are the result of reporters’ knowledge and experience. Nonetheless, lay theories differ from academic theories insofar as they are neither formalised, nor explicitly labelled. Being less sophisticated than academic theories, lay theories are sometimes relegated to the background of political coverage to allow for more dramatic coverage of political life. On the other side, journalists develop mechanisms to validate their theories.
This thesis makes a threefold contribution. At the conceptual level, it expands political science’s understanding of lay theories. It sheds light on a neglected aspect of media coverage of political life, i.e. the fact that journalists construct and use their own political theories to better understand political life. At the theoretical level, it clarifies the goals and imperatives that guide journalists who build these theories. Finally, at the empirical level, it gives journalists a rare occasion to express their view on how they perceive their own work.
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