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Vers une autre temporalité de la "parthénos" : entre mythe, littérature et disciplines du corpsMihelakis, Eftihia 08 1900 (has links)
Cette thèse trace la généalogie culturelle de la jeune fille en Occident en ciblant les moments charnières de son devenir femme au sein de structures de savoir qui ont activement participé à forger cette figure hétéronormative. Mon objectif est de produire une analyse culturelle en forgeant une cartographie des adolescences au féminin. Afin de sortir de la temporalité téléologique de la virginité et de la défloration, j’emprunte un mot étranger, parthénos, qui fait appel à l’idée de la jeune fille, sans nécessairement se limiter à ses connotations conventionnelles. La première partie, intitulée « La virginité, une affaire de jeunes filles », laisse place à une analyse du concept de parthénos à partir d’une lecture au carrefour de la médecine, de la loi et du mythe. Une lecture du traité hippocratique De la maladie des jeunes filles dévoile comment la défloration et la grossesse deviennent une cure érotique, une discipline du corps, qui décide du passage de la jeune fille dans une temporalité utile à la Cité. Un déplacement paradigmatique s’opère au 19e siècle dans les écrits médico-légaux, parce que l’hymen, auparavant inexistant dans la doxa hippocratique, devient le signe matériel par excellence pour examiner le statut de virginité de la fille. L’analyse de ces traités (frères Beck, Ambroise Tardieu, Paulier et Hétet) révèle la configuration de pratiques et de discours d’infantilisation des victimes de viol, et le refus des médecins légistes de reconnaître qu’une femme mariée puisse être violée. À partir d’une lecture contemporaine des tragédies L’Orestie d’Eschyle et Antigone de Sophocle, je montre que les figures d’Antigone et d’Électre constituent des exemples et des symboles convaincants de ce destin funeste de la parthénos qui n’accède jamais au statut de femme mariée. À ces figures mortelles, se télescopent les figures d’Artémis et des Érinyes pour montrer le potentiel de régénération inhérent à la figure de la parthénos. La deuxième partie, qui porte le titre « Le liminaire. Repenser les devenirs de l’adolescence », engage une réflexion à la lisière du contexte contemporain des Girlhood Studies, de la psychanalyse sociale et des études féministes sur le corps et le sexe, pour faciliter le déploiement d’une cartographie plus contextualisée du concept de parthénos. Je montre ici les écueils et les effets du danger qu’engendre la rationalité économique (cf. Henry A. Giroux) pour les espaces de liberté et d’exploration propres à l’adolescence. Cette posture est appuyée sur une lecture des récentes études en psychanalyse sociale (Anne Bourgain, Olivier Douville et Edmond Ortigues). Il est ainsi question d’identifier ce qui marque le passage entre l’adolescence et l’âge adulte : la crainte de la disparition et le fantasme de la naissance de soi. La théorie de la volatilité corporelle qu’élabore Elizabeth Grosz à propos de la sexualité féminine, ainsi que les théories de Michel Foucault, reprises par Judith Butler, en ce qui concerne les disciplines du corps, répondent à mon objectif de sortir de l’écueil d’une temporalité téléologique pour saisir les effets et les ramifications du discours sur la matérialité du corps de la jeune fille, sur ce qui lui arrive lorsqu’elle ne correspond pas tout à fait à l’idéal de régulation. Enfin, la dernière partie, qui porte le titre « Temporalités de la parthénos en tant que sujet liminaire », est traversée par les modalités particulières de la parthénia qui semble désincarnée dans la littérature contemporaine. L’objectif est de prouver que la virginité est toujours un marqueur symbolique qui déploie le destin de la fille dans un horizon particulier, trop souvent celui de la disparition. En proposant un éventail de cinq textes littéraires que j’inscris au sein d’une posture généalogique, je souhaite voir dans la littérature contemporaine, une volonté, parfois aussi un échec, dans cette pensée de la parthénos en tant que sujet liminaire. Le récit Vu du ciel de Christine Angot montre que l’ascension vers le statut d’ange concerne seulement les victimes enfants. Le récit d’Angot met donc en lumière la distinction entre la vraie victime, toujours innocente et pré-pubère, et la fausse victime, l’adolescente. Contrairement à Vu du ciel, The Lovely Bones d’Alice Sebold met en scène la possibilité d’une communauté politique de filles qui sera en fait limitée par le refus du potentiel lesbien. La question du viol sera ici centrale et sera abordée à partir de l’insistance sur la voix de la narratrice Susan. La littérature devient un espace propice à la survie de la jeune fille, puisqu’elle admet la reprise de l’expérience de la première relation sexuelle. Si la communauté est convoquée dans The Lovely Bones, elle est associée à l’image de l’identité sororale dans le roman Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides. La pathologie virale et la beauté virginale que construit le narrateur polyphonique et anonyme font exister le discours médical sur la maladie des vierges dans un contexte contemporain. Le récit médical rejoint alors le récit érotique puisque le narrateur devient médecin, détective et voyeur. À la différence de ces trois récits, Drames de princesses d’Elfriede Jelinek montre une parthénos, Blanche Neige, qui fait face à son agresseur pour s’inscrire dans une historicité discursive. Cette collision dialogique ranime le cycle tragique (celui d’une Antigone confrontant Créon) et traduit de nouveau le danger d’une superstructure sociétale composée d’images et de discours où la fille est construite comme un accessoire pour le plaisir éphémère de l’homme. À l’inverse de l’image de la vierge sacrée et désincarnée que proposent les récits d’Angot, de Sebold, d’Eugenides et de Jelinek, Virginie Despentes offre une autre réflexion dans Apocalypse bébé. Le personnage de Valentine est configuré comme une sœur des parthénoi qui préfère le suicide et la terreur à la domestication, faisant ainsi appel à une temporalité radicale et inachevable, celle de la fin de la jeune fille. Mon souhait est enfin de souligner la nécessité de penser au mérite autant épistémologique, intime que politique, d’explorer le temps des éclosions sexuelles de la fille par delà l’idée de la première relation sexuelle. / This thesis traces a genealogy of the girl in Western culture by focusing on key moments in time, the most significant of which I argue is the idea – the expectation – of her becoming a heteronormative woman. Virginity loss has historically served as a symbolic mark capable of determining this passage into a temporality, which is productive for the polis. My objective is to produce a cultural analysis that draws on a map of multiple notions and discourses of female adolescence so as to explore the potentialities of another temporality, different from that of virginity. To do so, I have chosen to use the Ancient Greek word “parthenos” because it does not systematically refer to the oft-conventional connotations related to the “girl” (“jeune fille”). In the first part titled “Virginity, a girl thing”, I analyze the concept of the parthenos through a nexus of discourses: law, medicine, and myth. I read the Hippocratic treaty pertaining to the maladies of virgins, in order to uncover the entwined relationship between puberty, considered a pathology, and coitus and pregnancy, prescribed as an erotic cure. A paradigmatic shift occurs in the 19th Century with the birth of legal medicine: the hymen – absent in the Hippocratic doxa, becomes the sine qua non material sign to determine the girl’s status of purity. I produce a close reading of treaties (brothers Beck, Ambroise Tardieu, Paulier and Hétet) in order to reveal an ideological pattern in these medical and legal practices. I show here that the configuration of virginity is contingent on that of rape, so that older women (oftentimes married women) are refused the right to legally claim that they have been raped. In the last section, I offer a contemporary reading of Aeschylus’ Orestia and Sophocles’ Antigone where I show that Electra and Antigone are telling symbols of the tragic fate that awaits the mortal parthenos who cannot comply with the rules of the polis. A brief portrayal of Artemis and the Furies allows me to show, however, the regenerative potential inherent in the idea of the divine parthenos, as well as the temporary power of chosen parthenia. In the second part titled “The liminary. Rethinking the becomings of adolescence”, I draw on Girlhood Studies, social psychoanalysis and Elizabeth Grosz’s feminist theories on the body so as to deploy a contextualized map of the concept of the parthenos. I read recent theories on adolescence in Cultural Studies (Henry A. Giroux) and social psychoanalysis (Anne Bourgain, Olivier Douville, and Edmond Ortigues) in order to identify what determines the passage between adolescence and adulthood: I discover that it is the tension between the fear of disappearing and the fantasy of autogenesis. These two movements are then seen through the lens of material philosophies of the body, specifically Michel Foucault’s and Judith Butler’s work on the disciplines of the body. My aim is to explore the possibilities and the limitations of a teleological temporality in order to capture the effects and the ramifications of a discourse on materiality. Ultimately, I show that in all the discourses analyzed, the consequence for the girl who does not fit the ideal has always been exclusion for the realm of intelligibility, and from the polis. The third part titled “Temporalities of the parthenos as a liminary subject” is concerned with particular modalities of disincarnated parthenia in contemporary literature. The main objective of this part is to prove that virginity has more often than not inscribed the girl in a specific temporality, that of invisibility and political expropriation. I propose a range of five texts through a genealogical approach to explore how literature can – although it often fails – express another temporality for the parthenos as a liminary subject. Christine Angot’s Vu du ciel shows that ascension to the realm of seraphic metamorphosis only concerns very young girls who have not yet reached puberty. The true victim, Séverine, is prepubescent and sexually unaware, and remains so as an angel, whereas the false victim, Ch., is a younger woman who survived abuse as an adolescent. Ch. must then suffer a terrible fate, since Séverine is charged with the responsibility of slowly and painfully killing her off. On the other hand, Alice Sebold’s The Lovely Bones shows the possibility of a girls’ community although it excludes lesbian relationships. Rape remains a central question, but it is read through the importance of Susan being able to produce a cohesive narrative so as to move to another, more acceptable realm. Literature becomes a hospitable space for the parthenos’ survival, since she is allowed to eventually live her first sexual experience by temporarily being reincarnated through her friend Ruth’s body. Virgin Suicides by Jeffrey Eugenides shows the intimate relationship between suicide, viral pathology and virginity allowing for a contemporary revival of Hippocratic discourse. I read the novel here as an interwoven medical and erotic text where the Lisbon sisters rarely speak, and if they do, their speech is always appropriated by the anonymous polyphonic narrator, who simultaneously perceives himself as a healer, a detective, and a tantalized voyeur at the edge of orgasmic release. Drames de princesses by Elfriede Jelinek allows me to show how Snow White is a parthenos who succeeds in confronting her aggressor, which was never the case in the previous texts. Although her speech animates a tragic cycle of death, it also produces a discursive historicity, which allows the reader to perceive the dangers of a societal superstructure composed of images and discourses where the girl is a passive accessory at the behest of men’s pleasure. Finally, contrary to these sacred and disincarnated parthenoi, Virginie Despentes’ Apocalypse bébé draws on a figure, a sister of all those parthenoi who prefer suicide and terror to domestication. The novel proposes a radical temporality, that of the end of the “jeune fille.”
My aim is therefore to underline the necessity of thinking of the epistemological, intimate and political merits of a temporality, which is tied to the importance of claimed plural and subjective sexualities experienced beyond the scope of the loss of virginity.
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