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La réorganisation fonctionnelle des aires cérébrales du langage et de l'organisation visuospatiale. Influence des régularités environnementales lors d'un entraînement non verbal : études en IRMf

Lefebvre, Laurent 11 April 2006 (has links) (PDF)
Dans la littérature actuelle, réorganisation cérébrale et plasticité neuronale sont des concepts régulièrement abordés. Si leur existence est aujourd'hui communément admise, une définition universelle reste toutefois à élaborer. Ceci serait notamment dû au fait que les particularités des processus qui sous-tendent et influencent la neuroplasticité n'ont pas encore pu être clairement établies. <br /><br />Selon Shaw et McEachern (2001, p.3), la neuroplasticité est une propriété fondamentale des neurones et du système nerveux. La recherche de l'organisation de base des structures cérébrales, mais également des mécanismes et des règles expliquant l'apparition des connexions neuronales, a occupé les scientifiques depuis près d'un siècle. Les physiologistes qui se sont penchés sur les mécanismes sensoriels ont ainsi découvert l'existence de neurones inhibiteurs, excitateurs mais également leur organisation supérieure en champs récepteurs. Ces champs, qui supportent les fonctions cognitives, ne sont pas indépendants mais peuvent s'interconnecter fonctionnellement au gré des apprentissages. Dès lors, puisque les fonctions cognitives sont supportées par des structures neuronales, il semble pertinent d'aborder les problèmes de restructuration fonctionnelle cérébrale en travaillant sur ces fonctions. La question sous-tendue, et sur laquelle les chercheurs restent partagés, est de savoir s'il est possible d'intervenir sur la réorganisation neuronale et plus précisément, si une rééducation exogène peut modifier le fonctionnement cérébral interne des individus.<br /><br />L'une des fonctions cognitives les plus complexes et les plus étudiées est le langage. Il est aujourd'hui bien établi que les structures cérébrales qui le sous-tendent sont relativement distribuées dans le cerveau. Certaines activations sont ainsi relevées dans les cortex moteur et prémoteur durant des tâches de perception phonologique (Fiez et al., 1996 ; Zatorre et al., 1996), de production phonologique (Gelfand et Bookheimer, 2003 ; Heim et al., 2003) ou de manipulation de phrases (Homae et al., 2002 ; Indefrey et al., 2001). Wildgruber et al. (2001) constatent également une implication du gyrus précentral, de la partie antérieure de l'insula, du cérébellum droit et des ganglions de la base dans les activités linguistiques. Or, des observations récentes mettent en évidence que si l'acte langagier implique différentes parties du cortex, plusieurs de ces zones ne sont pas spécifiques au langage (e.g. les aires motrices, le cérébellum ou les ganglions de la base). Ainsi, Ullman (2001, 2004, voir aussi Ullman, Bergida et O'Craven, 1997) affirme dans son modèle déclaratif/procédural que certaines parties du cerveau sont impliquées tant dans des activités langagières que non verbales. Il distingue deux zones fondamentales : le gyrus temporal supérieur, dont l'activation sous-tend l'aspect sémantique mais également la mémoire déclarative et épisodique, et le gyrus frontal inférieur gauche associé aux ganglions de la base, qui s'activent lorsque les sujets utilisent des règles grammaticales et lors d'apprentissages procéduraux. Or, des résultats montrent que les ganglions sont aussi activés lors d'apprentissages procéduraux implicites (Echenbaum et Cohen, 2001), d'apprentissages de règles probabilistes (Knowlton et al., 1996 ; Poldrack et al., 1999) ou de séquences (Aldridge et Berridge, 1998 ; Peigneux et al., 2000).<br /><br />Le fait que la perception de régularités soit sous-tendue par les ganglions de la base est très intéressant. En effet, l'influence des régularités sur l'acquisition du langage avait déjà été abordée lors de recherches en psychologie du développement par Saffran et al. (1996). Ces auteurs ont observé que des enfants de huit mois pouvaient discriminer des pseudomots par simple perception de régularités présentes dans leur environnement. Selon Seidenberg (1997), ce résultat prouve que les contraintes dans les processus d'apprentissage favorisent l'acquisition et le développement des fonctions cognitives, et notamment le langage. Pour les auteurs cités ci-dessus, l'enfant apprend à utiliser la compétence langagière en découvrant les régularités de l'environnement, régularités que le fonctionnement même de son cerveau le contraint à découvrir. La question de savoir ce qui se passe quand l'individu n'est pas apte à découvrir ces régularités (dans le cas d'un handicap mental), ou quand il perd cette faculté (dans le cas d'une lésion cérébrale), trouve dès lors toute sa pertinence. <br /><br />Les recherches que nous menons visent à tester l'hypothèse selon laquelle un entraînement basé sur la détection de régularités environnementales peut mener à une réorganisation des activations cérébrales liées au langage. Cet entraînement se veut non-verbal afin d'éviter de travailler la fonction lésée par elle-même. Dominey et ses collaborateurs ont déjà montré qu'un apprentissage spécifique pouvait se transférer d'un domaine non-linguistique à des domaines linguistiques, postulant selon eux une base neuronale commune aspécifique. Ces auteurs ont observé une activation cérébrale antérieure gauche lors d'exercices non verbaux comparable à celle observée lors d'exercices portant sur la syntaxe (Hoen et Dominey, 2000). Ils ont alors formulé l'hypothèse que l'application de transformations systématiques dans des séries logiques est l'une des propriétés requises pour accéder aux mécanismes neurophysiologiques du langage, notamment la syntaxe. Ils ont pour ce faire étudié les effets d'un entraînement à des séquences non linguistiques sur la compréhension syntaxique chez six patients aphasiques et découvert un lien entre l'habileté à détecter les séquences non verbales et l'habileté grammaticale (Hoen et al., 2003). Ils n'ont toutefois pas encore envisagé une remédiation complète basée sur ce traitement, et se sont focalisés sur l'habileté à manipuler du langage verbal dans le cadre des activités proposées.<br /><br />Ces différentes études montrent combien le développement de compétences cognitives peut favoriser l'activation d'aires cérébrales préalablement peu actives, voire inactives, zones qui peuvent soutenir des compétences comme le langage ou l'organisation visuospatiale (compétence perçue par de nombreux auteurs comme un prérequis au langage écrit). Elles illustrent également la pertinence d'une hypothèse de réorganisation cérébrale fondée sur un apprentissage externe. <br /><br />Le but de nos recherches est donc de démontrer qu'il est possible d'observer une modification des activations cérébrales dans le cadre d'activités cognitives, langagières ou visuospatiales, par un entraînement exogène à la perception de régularités environnementales.<br /><br />Ceci nous a amené à tenter plusieurs expériences sous résonance magnétique fonctionnelle auprès de diverses populations. Nous avons commencé par un échantillon âgé de jeunes adultes universitaires, capables de percevoir des régularités environnementales complexes. Ces individus ont été évalués tant au niveau du langage que de l'organisation visuospatiale.<br /><br />Les résultats de ces études montrent une évolution notable des réseaux impliqués lors de tâches visuelles impliquant le langage. Notamment, nous mettons en évidence une activation significative nettement supérieure du lobe temporal supérieur inférieur (« zone de Wernicke ») et des ganglions de la base suite à notre entraînement. La zone de Wernicke est traditionnellement associée à la composante sémantique du langage alors que les ganglions de la base sous-tendent plutôt les aspects syntaxiques et grammaticaux. Ces observations ne correspondent que partiellement à notre modèle, qui postulait l'activation des ganglions de la base (puisque les compétences de perception de règles et de grammaire ont ces structures pour siège commun). Aucun développement significatif n'a par contre été relevé concernant les réseaux sous-tendant l'organisation spatiale.<br />Suite à ces premières études, nous nous sommes demandés si le fait que les sujets aient tous débuté une formation universitaire n'a pas pu influencer les résultats, cette population étant plus régulièrement confrontée à des stimulations cognitives en lien avec les compétences étudiées. Nous avons donc décidé de réitérer l'expérience avec des sujets d'un niveau scolaire moindre. Le plan expérimental était identique à celui des études précédentes.<br /><br />Les résultats en imagerie au niveau du langage montrent, chez les sujets moins scolarisés soumis à un entraînement à la perception de régularités, un « déplacement » postéro-antérieur des loci principaux d'activation lors des exercices impliquant l'aspect sémantique. En effet, les zones occipitales, pariétales et cingulaires laissent place à une concentration des réponses au niveau frontal postérieur.<br /><br />Les résultats IRMf visuospatiaux indiquent que parmi la population moins scolarisée, le groupe expérimental renforce, voire active, certaines réponses dans l'hémisphère droit. Ce résultat n'avait pas pu être observé lors des expériences précédentes.<br /><br />Ces études nous amènent à constater une double dissociation entre groupes : le premier, composé de sujets plus scolarisés, présente un pattern « langage » en relative concordance avec les hypothèses alors que le second groupe montre plutôt une évolution du pattern « visuospatial », bien qu'un mouvement postéro-antérieur soit relevé au niveau langagier également. Il semble donc que les caractéristiques intrinsèques des individus étudiés soient fondamentales pour déterminer les apports d'une telle approche.<br /><br />Un résultat extrêmement important est qu'il montre que même chez des individus adultes, la flexibilité des réseaux neuronaux reste forte. L'entraînement proposé semble en effet avoir eu un impact chez plusieurs des groupes analysés.<br /><br />A l'instar de résultats comme ceux obtenus par Houdé et al. (2000, 2001), il est possible que l'habituation au matériel ait permis aux individus de restructurer leur approche des exercices cognitifs, ce qui a amené un recrutement plus adéquat et plus efficient. <br /><br />Concernant les réponses neuronales observées, la mise en évidence d'un accroissement de l'activation des pôles frontaux montre que l'impact du traitement réside plus particulièrement au niveau d'un développement des stratégies que d'un apprentissage formel et ce, que ce soit au niveau des tâches de langage ou de l'organisation visuospatiale. Ceci souligne l'intérêt global de notre approche, l'amélioration de l'utilisation de stratégies présentant un intérêt assez transversal dans la sphère cognitive. Nous pensons d'ailleurs que ce développement frontal pourrait expliquer les résultats obtenus par Lowenthal et Saerens (1982) avec un enfant aphasique. En effet, la structuration de sa communication est survenue suite au développement de stratégies compensatoires (celui-ci étant incapable physiquement de récupérer le langage parlé), notamment fondées sur des mécanismes logiques. Nous sommes persuadés qu'un accroissement de l'activation frontale pourrait être le signe de ces évolutions.

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