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Charles Taylor et les limites de la simple raisonSt-Laurent, Guillaume 05 1900 (has links)
Est-il encore légitime de distinguer, d’une part, la « simple raison », apte à convaincre n’importe quel penseur honnête et lucide, et d’autre part, le domaine de la foi religieuse, où les différences de conviction seraient a priori irréductibles, parce que soumises à des conditions de validité sui generis? Dans quelle mesure ce « partage des voix » entre la raison et la foi, que commandait au siècle des Lumières l’« exigence de l’émancipation » ou de l’affranchissement des tutelles autoritaires (le Selberdenken, le « penser par soi-même »), est-il encore d’actualité pour nous? Les temps ne sont-ils pas mûrs pour une autre attitude de la raison philosophique par rapport à la foi religieuse, qui se proposerait de mettre en question la théorie qui opposait la raison et la révélation comme deux « sources » irréductibles de vérité?
Le présent travail poursuivra trois objectifs principaux, dont la visée commune consistera à clarifier les tenants et aboutissants de la critique de la « simple raison » (reason alone) chez Charles Taylor, au regard de la totalité de son œuvre. Dans un premier temps, nous soulignerons que notre auteur récuse le paradigme épistémologique de la philosophie moderne au nom d’un paradigme herméneutique, plus sensible à la finitude langagière et historique de la raison humaine. Notre auteur reconnaît en effet au « débat herméneutique » (hermeneutical debate) une importance cruciale dans le contexte de la sécularité (ou de notre « âge séculier »), qui se caractérise par la coexistence d’une pluralité croissante de perspectives éthiques et spirituelles. Dans un deuxième temps, nous soutiendrons que ce paradigme herméneutique admet une distinction fondamentale entre deux modes de réflexion, l’argumentation transcendantale et la quête d’authenticité, et montrerons que l’argumentation transcendantale peut à son tour être comprise comme une modalité particulière de la « simple raison » dans le contexte du paradigme herméneutique. Ces deux premiers moments de nos analyses, de nature essentiellement exégétique, constitueront la majeure partie de notre thèse. Dans un troisième temps, nous examinerons la distinction entre l’argumentation transcendantale et la quête d’authenticité de façon à mettre en question les limites assignées par notre auteur à la première. Plus précisément, notre intention est de démontrer que la critique herméneutique de la simple raison proposée par Taylor présuppose elle-même la viabilité d’une « éthique transcendantale » et, par conséquent, la viabilité d’une conception transcendantale de la simple raison dans la sphère de la rationalité pratique. Cette éthique transcendantale affleure en plusieurs lieux dans son œuvre sous la forme d’un « humanisme » de type néo-aristotélicien, solidement ancré dans ses analyses des conditions d’arrière-plan inéluctables (ou transcendantales) de l’agir humain, sans toutefois être explicitement conçue et assumée en tant que telle. / Is it still legitimate to distinguish, on the one hand, ‘‘reason alone’’ or nonreligiously informed reason, whose conclusions are in principle able to satisfy any honest and lucid thinker, and on the second hand, the domain of religious faith, where differences of conviction would be a priori irreducible? Is this divide between reason and faith, which was prompted at the time of the Auflkärung by a great call to ‘‘emancipation’’ (to ‘‘think for yourself’’, Selberdenken), still relevant for us today? Are the times not ripe for another philosophical attitude in relation to religious faith, which would call into question the theory that opposed reason and revelation as two irreducible ‘‘sources’’ of truth?
This dissertation will pursue three main objectives, whose common aim is to clarify the motives and implications of the critique of ‘‘reason alone’’ in Charles Taylor’s work. First, we will show that Taylor rejects the ‘‘epistemological’’ paradigm of modern philosophy in the name of a hermeneutic paradigm, more sensitive to the linguistic and historical finitude of human reason. Our author maintains, indeed, that ‘‘hermeneutical debates’’ are now obligatory in our secular age, characterized by the coexistence of a growing plurality of ethical and spiritual perspectives. Secondly, we will argue that this hermeneutic paradigm admits of a fundamental distinction between two modes of reflection, that of ‘‘transcendental arguments’’ and the ‘‘quest for authenticity’’, and will show that transcendental arguments can in turn be understood as a specific modality of ‘‘reason alone’’ in the context of the hermeneutic paradigm. These two first stages of our analysis, mainly of an exegetical nature, will constitute the major part of our dissertation. Thirdly, we will examine the distinction between transcendental arguments and the quest for authenticity, to challenge the limits assigned by Taylor to the first domain. Specifically, we intend to demonstrate that the hermeneutical critique of reason propounded by Taylor presupposes the viability of a ‘‘transcendental ethics’’ and, therefore, the viability of a transcendental conception of reason in the domain of practical rationality. This transcendental ethics emerges at several occasions in his work as a kind of neo-Aristotelian ‘‘humanism’’, firmly anchored in his analysis of the inescapable background conditions of human agency, without being explicitly recognized as such.
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