Personnaliser les traitements anticancéreux sur base moléculaire consiste à optimiser la thérapie en fonction des profils d'expression de gènes des cellules saines et tumorales du patient. Les différences au niveau moléculaire entre tissus normaux et cancéreux sont exploitées afin de maximiser l'efficacité du traitement et minimiser sa toxicité. Cette thèse propose une approche pluridisciplinaire expérimentale et mathématique ayant pur but la détermination de stratégies anticancéreuses optimales sur base moléculaire. Cette approche est, tout d'abord, mise en œuvre pour la personnalisation de la chronothérapeutique des cancers, puis pour l'optimisation de la thérapie anticancéreuse dans le cas d'une mutation de l'oncogène SRC. La plupart des fonctions physiologiques chez les mammifères présentent une rythmicité circadienne, c'est-à-dire de période environ égale à 24 h. C'est par exemple le cas de l'alternance activité-repos, de la température corporelle, et de la concentration intracellulaire d'enzymes du métabolisme. Ces rythmes ont pour conséquence une variation de la toxicité et de l'efficacité d'un grand nombre de médicaments anticancéreux selon leur heure circadienne d'administration. De récentes études soulignent la nécessité d'adapter les schémas d'injection chronomodulés au profil moléculaire du patient. La première partie de cette thèse propose une approche combinée expérimentale et modélisatrice pour personnaliser sur base moléculaire la chronothérapie. La première étape a consisté en une preuve de concept impliquant des expérimentations in vitro sur cultures de cellules humaines et des travaux de modélisation in silico. Nous nous sommes focalisés sur l'étude de l'irinotecan (CPT11), un médicament anticancéreux actuellement utilisé en clinique dans le traitement des cancers colorectaux, et présentant des rythmes de chronotoxicité et de chronoefficacité chez la souris et chez l'homme. Sa pharmacocinétique (PK) et pharmacodynamie (PD) moléculaires ont été étudiées dans la lignée de cellules d'adénocarcinome colorectal humain Caco-2. Un modèle mathématique de la PK-PD moléculaire du CPT11, à base d'équations différentielles ordinaires, a été conçu. Il a guidé l'expérimentation qui a été réalisée dans le but de d'évaluer les paramètres du modèle. L'utilisation de procédures d'optimisation, appliquées au modèle calibré aux données biologiques, a permis la conception de schéma d'exposition au CPT11 théoriquement optimaux dans le cas particulier des cellules Caco-2. Le CPT11 s'est accumulé dans les cellules Caco-2 où il a été biotransformé en son métabolite actif le SN38, sous l'action des carboxylestérases (CES). La pré-incubation des cellules avec du verapamil, un inhibiteur non spécifique des transporteurs ABC (ATP-Binding Cassette) a permis la mise en évidence du rôle de ces pompes d'efflux ABC dans le transport du CPT11. Après synchronisation des cellules par choc sérique, qui définit le temps circadien (CT) 0, des rythmes circadiens d'une période de 26 h 50 (SD 63 min) ont été mis en évidence pour l'expression de trois gènes de l'horloge circadienne: REV-ERBα, PER2, et BMAL1; et six gènes de la pharmacologie du CPT11: la cible du médicament la topoisomerase 1 (TOP1), l'enzyme d'activation CES2, l'enzyme de désactivation UGT1A1, et les quatre transporteurs ABCB1, ABCC1, ABCC2, ABCG2. Au contraire, l'expression protéique et l'activité de la TOP1 sont restées constantes. Enfin, la quantité de TOP1 liée à l'ADN en présence de CPT11, un marqueur de la PD du médicament, a été plus importante pour une exposition à CT14 (47±5.2% de la quantité totale de TOP1), que pour une exposition à CT28 (35.5±1.8%). Les paramètres du modèle mathématique de la PK-PD du CPT11 ont ensuite été estimés par une approche de bootstrap, en utilisant des résultats expérimentaux obtenus sur les cellules Caco-2, combinés aux données de la littérature. Ensuite, des algorithmes d'optimisation ont été utilisés pour concevoir les schémas d'exposition théoriquement optimaux des cellules Caco-2 à l'irinotecan. Les cellules synchronisées par un choc sérique ont été considérées comme les cellules saines et les cellules non-synchronisées ont joué le rôle de cellules cancéreuses puisque l'organisation circadienne est souvent perturbée dans les tissus tumoraux. La stratégie thérapeutique optimale a été définie comme celle qui maximise l'efficacité sur les cellules cancéreuses, sous une contrainte de toxicité maximale sur les cellules saines. Les schémas d'administration considérés ont pris la forme d'une exposition à une concentration donnée de CPT11, débutant à un CT particulier, sur une durée comprise entre 0 et 27 h. Les simulations numériques prédisent que toute dose de CPT11 devrait être optimalement administrée sur une durée de 3h40 à 7h10, débutant entre CT2h10 et CT2h30, un intervalle de temps correspondant à 1h30 à 1h50 avant le minimum des rythmes de bioactivation du CPT11 par les CES. Une interprétation clinique peut être établie en ramenant à 24 h ces résultats pour les cellules Caco-2 qui présentent une période de 27 h. Ainsi, une administration optimale du CPT11 chez le patient cancéreux résulterait en une présence du médicament dans le sang pendant 3h30 à 6h30, débutant de 1h30 à 1h40 avant le minimum des rythmes d'activité des CES chez le patient. La deuxième étape de nos travaux a consisté à adapter l'approche mise en œuvre pour optimiser l'exposition des cellules Caco-2 au CPT11, pour l'optimisation de l'administration du médicament chez la souris. Des études récentes mettent en évidence trois classes de chronotoxicité à l'irinotecan chez la souris. La classe 1, les souris de la lignée B6D2F1 femelles, présentent la pire tolérabilité au CPT11 après une administration à ZT3, et la meilleure pour une administration à ZT15, où ZT est le temps de Zeitgeber, ZT0 définissant le début de la phase de lumière. La classe 2, les souris B6D2F1 mâles, montrent une pire heure d'administration à ZT23 et une meilleure à ZT11. Enfin, la classe 3, les B6CBAF1 femelles présentent la pire tolérabilité pour une injection à ZT7, et la meilleure pour ZT15. Nous avons entrepris une approche pluridisciplinaire in vivo et in silico dont le but est la caractérisation moléculaire des trois classes de chronotoxicité, ainsi que la conception de schémas optimaux d'administration pour chacune d'elles. Le modèle mathématique mis au point pour une population de cellules en culture a été adapté pour la construction d'un modèle "corps entier" à base physiologique de la PK-PD de l'irinotecan. Un ensemble de paramètres a été estimé pour la classe 2, en utilisant deux sortes de résultats expérimentaux: d'une part, les concentrations sanguines et tissulaires (foie, colon, moelle osseuse, tumeur) du CPT11 administré aux pire et meilleure heures circadiennes de tolérabilité, et d'autre part, les variations circadiennes des protéines de la pharmacologie du médicament dans le foie et l'intestin. Le modèle ainsi calibré reproduit de façon satisfaisante les données biologiques. Cette étude est en cours pour les classes 1 et 3. Une fois les ensembles de paramètres validés pour chacune des trois classes, ils seront comparés entre eux pour mettre en évidence de possibles différences moléculaires. L'étape suivante consiste en l'application d'algorithmes d'optimisation sur le modèle corps entier pour définir des schémas d'administration chronomodulés optimaux pour chaque classe. La deuxième partie de cette thèse s'intéresse à l'étude de la tyrosine kinase SRC, dont l'expression est dérégulée dans de nombreux cancers. Des études récentes montrent un contrôle de SRC sur la voie mitochondriale de l'apoptose dans des fibroblastes de souris NIH-3T3 transfectés avec l'oncogène v-src, cette régulation étant inexistante dans les cellules parentales. L'oncogène SRC active la voie RAS / RAK / MEK1/2 / ERK1/2 qui augmente la vitesse de phosphorylation de la protéine pro-apoptotique BIK, menant ainsi à sa dégradation par le protéasome. La faible expression de BIK résultant de ce mécanisme rendrait ainsi les cellules v-src résistantes à la plupart des stress apoptotiques. Notre étude a consisté à déterminer, par une approche combinée mathématique et expérimentale, les stratégies thérapeutiques optimales lorsque les cellules NIH-3T3 parentales jouent le rôle de cellules saines, et les fibroblastes transformés celui de cellules cancéreuses. Pour cela, nous avons, tout d'abord, construit un modèle mathématique de la cinétique de BIK en conditions non-apoptotiques. L'estimation des paramètres de ce modèle, en utilisant des données expérimentales existantes, confirme que la phosphorylation de BIK sous le contrôle de SRC est inactive dans les cellules normales. L'étude exprimentale de l'évolution de BIK après le signal apoptotique que constitue une exposition à la staurosporine, démontre une relocalisation de BIK aux mitochondries, la concentration totale de la protéine restant constante durant le stress. Nous avons ensuite conçu un modèle mathématique de la voie mitochondriale de l'apoptose mettant en jeu les protéines anti-apoptotiques de type Bcl2, les protéines effectrices de type BAX, les protéines BH3-only activatrices et les BH3-only sensibilisatrices. Un ensemble de paramètres a été déterminé pour les cellules NIH-3T3 parentales, et celles transformées v-src, en comparant le modèle aux données expérimentales. Le modèle reproduit le fait expérimentalement démontré que la préincubation des cellules v-src avec un inhibiteur de la tyrosine kinase SRC, avant l'exposition à la staurosporine, annihile la résistance des fibroblastes transformés au stress apoptotique. Le modèle prédit que l'administration de l'ABT-737, un inhibiteur de protéines anti-apoptotiques, avant l'exposition à la staurosporine, ne devrait pas être entreprise dans notre systéme biologique, ce qui a été expérimentalement validé. Enfin, le modèle a été utilisé dans des procédures d'optimisation pour déterminer la stratégie thérapeutique théoriquement optimale, lorsque les cellules normales et transformées sont exposées aux mêmes médicaments. Les combinaisons médicamenteuses considérées consiste en une exposition à la staurosporine, précédée d'une exposition à des répresseurs ou activateurs d'expression des protéines de la famille Bcl2. La stratégie optimale est définie comme celle qui maximise le pourcentage de cellules apoptotiques dans les fibroblastes v-src, sous la contrainte que celui dans les cellules normales reste au-dessous d'un seuil de tolérabilité. Les simulations numériques nous permettent de conclure à une combinaison médicamenteuse optimale constituée d'une exposition à la staurosporine, précédée d'une exposition à un répresseur de l'expression de BAX (de manière à diminuer sa concentration en-dessous du seuil apoptotique dans les cellules normales, mais pas dans les cellules cancéreuses), combinée à un répresseur de BCL2 ou un inhibiteur de tyrosines kinases SRC. Cette stratégie optimale aboutit à moins d'1% de cellules apoptotiques dans les cellules saines et plus de 98% dans les cellules cancéreuses.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00628629 |
Date | 15 June 2011 |
Creators | Ballesta, Annabelle |
Publisher | Université Paris Sud - Paris XI |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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