Return to search

La généalogie d'une figure de l'angoisse : formes, pratiques et représentations de la place de Grève (Paris, 1667-1789)

Cette thèse interroge un lieu central de la capitale française (l'actuelle place de l'Hôtel de Ville) et vise à saisir, en amont, les processus qui font de la place de Grève une figure de l'angoisse au début du XIXe siècle. Au cours des dernières années, les recherches sur les villes médiévales et modernes ont révélé la richesse de l'espace comme problème théorique et historique. Cette thèse s'inscrit dans les travaux récents qui tentent de comprendre comment l'espace urbain est produit et comment, en retour, celui-ci « produit » du social, du politique et du culturel. Les changements observés sont saisis dans le temps long et tiennent compte des transformations qui s'opèrent aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les façons de concevoir, d'organiser et de réguler l'espace urbain. À la fois cause et conséquence de ces changements, la réorganisation des institutions parisiennes à la fin du XVIIe siècle et l'uniformisation progressive des pratiques des autorités sur des territoires à la fois partagés et contestés témoignent de l'émergence d'une nouvelle conception de l'espace urbain. Lentement élaborée à travers la pratique, malgré la diversité des corps et leur rivalité éventuelle, cette conception fait de l'espace urbain un territoire plus homogène, organisé depuis un centre et dans lequel les fonctions doivent être distribuées de manière utile. Située au centre de Paris et ouverte sur la Seine, la Grève est la plus ancienne place publique de la capitale. Site d'une activité commerciale et portuaire ancienne, étroitement associée à l'origine du gouvernement municipal et lieu de représentation des pouvoirs publics, elle est un espace hybride et polyvalent doté d'une forte charge symbolique. Au milieu du XVIIIe siècle, c'est un lieu complexe, chargé et tendu, livré en partage à des usages concurrents. Si la forte charge symbolique de la Grève tient largement à l'hybridité du lieu et à sa polysémie, l'action des autorités invite toutefois à reconsidérer cet espace, son sens, ses usages et ses formes. L'évolution de l'utilisation cérémonielle de la place dans la seconde moitié du XVIIIe siècle révèle la transformation des pratiques des autorités qui, de plus en plus, vont dans le sens d'une spécialisation des lieux urbains pour des raisons à la fois fonctionnelles, sécuritaires, esthétiques et symboliques. Ainsi, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que les fêtes et les réjouissances, qui avaient jusque-là constitué une dimension importante de l'occupation cérémonielle du site, tendent à reculer, les exécutions publiques s'y concentrent. Une réflexion similaire est poursuivie par les aménageurs qui s'interrogent eux aussi sur les sens, les usages et les formes de la place, mais dont l'action est compliquée par la polysémie du site. Diversement revendiquée par les acteurs, la Grève est à la fois perçue comme le lieu d'origine du pouvoir municipal et bourgeois, le symbole de l'identité civique, un lieu de glorification de la monarchie, le principal lieu d'exercice de la justice royale et un lieu de rassemblement populaire et ouvrier. Au XVIIIe siècle, les hésitations et les échecs des projets de réaménagement de la place témoignent de l'écart entre les représentations des acteurs et de la fertilité des sens du lieu. Surtout, ces échecs successifs ont pour résultat de préserver presque intacte, au coeur de la ville, une forme urbaine que tous jugent pourtant archaïque et dangereuse pour l'organisme urbain. Si les formes, les pratiques et les représentations du lieu sont partiellement orientées par l'action des élites et des autorités, la place offre toutefois autant de possibilités que de contraintes aux individus et aux groupes qui peuvent se l'approprier de diverses manières. À la fin du XVIIIe siècle, à travers une série de contestations et de négociations, la place est étroitement associée aux ouvriers du bâtiment qui s'y rendent traditionnellement pour l'embauche. En juillet 1789, elle est investie symboliquement par les nouvelles institutions municipales et ses usages sont détournés par la foule révolutionnaire. Perçus comme autant de détournements et de subversions, ces usages autonomes de l'espace, hors des cadres fixés par le pouvoir, contribuent à nourrir la crainte du désordre que la place faciliterait. Perçue à la fois comme un environnement malsain et insalubre, fréquenté par une population migrante, marginale et violente, la Grève cristallise les anxiétés sociales au début du XIXe siècle. Elle devient une véritable figure de l'angoisse dans les romans noirs où son évocation seule suffit pour illustrer les dangers et les bas-fonds de la capitale. Ouvrages populaires, peu coûteux et largement diffusés, ces oeuvres de fiction fonctionnent à la manière d'une caisse de résonance et contribuent à forger et « embellir » cet imaginaire angoissant du lieu. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Paris, Place publique, Place de Grève, Production de l'espace, Espace urbain, Histoire urbaine.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.1613
Date January 2008
CreatorsAllard, Julie
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
Detected LanguageFrench
TypeThèse acceptée, PeerReviewed
Formatapplication/pdf
Relationhttp://www.archipel.uqam.ca/1613/

Page generated in 0.0089 seconds