Cette thèse porte sur les processus du « changement d’état d’esprit », une problématique que l’anthropologie a traditionnellement traitée sous l’angle de « l’évolution culturelle », mais que j’aborde ici de manière différente à travers la pensée systémique de Gregory Bateson. Vu sous cet angle, le changement est un processus « écologique » qui affecte le modèle des relations entre un système et son environnement. Si la métaphore centrale de Bateson est écologique, son point focal n’en est pas pour autant la « vie organique », mais bien le monde de l’Esprit tel qu’il le conçoit fait de perceptions, d’organisation et de communication. Le modèle pose en prémisse que tout changement dans l’état d’un système d’idées implique des changements dans ses relations avec son « environnement » et vice versa, cette réciprocité conduisant éventuellement au croisement de logiques incompatibles, jusqu’au seuil d’un paradoxe fondamental entre les efforts fournis pour maintenir le statu quo et ceux investis dans la création de nouveaux modèles.
La problématique de recherche met en relief trois orientations possibles de l’étude du changement d’état d’esprit : l’orientation personnaliste privilégiée par les disciplines du domaine de la santé mentale, l’orientation situationniste mieux prise en charge par les théories de la communication (mais également par les artistes et les sémioticiens) et l’orientation écologiste caractérisée par un haut niveau d’abstraction, ceci dans le but de focaliser les regards, non pas sur les expériences vécues ni sur le contexte de leur épreuve, mais plutôt sur la logique des ordres qui structurent la communication entre un système et son environnement. L’exposé de la problématique inclut la disposition de balises dans l’ouvrage de Bateson de sorte à circonscrire sa sphère de pertinence, à exposer son modèle systémique de l’esprit et à préciser sa terminologie.
La recherche se déploie dans le cadre conceptuel du paradigme systémique tel qu’il se décline chez Bateson par un formalisme esthétique, un fonctionnalisme logique et un processualisme « neutre » (au sens de générique plutôt que particulier). La méthode employée se caractérise par l’usage de la pensée analogique ou métaphorique structurée autour des concepts de forme, de fonction et de processus ; le raisonnement dit « en pince », lequel combine l’induction, la déduction et la transduction ; et la modélisation par triangulation.
Trois études de cas présentées sous forme d’articles composent le corps de la thèse. Chacune de ces études illustre un aspect théorique ou méthodologique de la pensée systémique de Bateson tout en prenant racine dans un seul et même substrat, soit celui que constitue le thème du changement d’état d’esprit tel qu’il se décline dans ma propre expérience intellectuelle en contexte universitaire. Le premier article s’intéresse à un état d’esprit académique particulier (le scientisme) qui conditionne l’environnement de la recherche universitaire lorsqu’elle s’effectue dans des conditions de partenariat disciplinaire ou sectoriel ; le deuxième article pose un regard critique sur un certain état d’esprit professionnel (le corporatisme) qui a paralysé l’environnement d’un programme de baccalauréat en pratique artistique dans une université francophone montréalaise ; et le troisième article est la critique féministe d’un état d’esprit culturel nord-américain typique (le machisme) qui règne dans la sphère du divertissement musical alors que l’industrie du romantisme se fait le vecteur de la socialisation des jeunes filles à la violence communicationnelle dans les relations amoureuses hétérosexuelles. Le fil conducteur de ces trois articles reste implicite dans les versions publiées : il concerne le seuil critique d’un changement d’état d’esprit qui peut être atteint lorsque se met en place une confrontation entre deux logiques adaptatives contradictoires, leurs processus respectifs étant capables de maintenir, comme de menacer l’écologie des systèmes de pensée affectés.
La thèse se termine par une courte réflexion visant à cerner l’enjeu éthique de la recherche sur le changement d’état d’esprit, suivie par un commentaire sur la place que pourrait favorablement prendre la pensée « souveraine » (celle qui fixe elle-même ses buts) dans l’architectonique de la nouvelle réalité humaine, plus ou moins bien envisagée par cette « Université du futur » à laquelle le scientifique en chef du Québec nous demande de rêver. / This thesis focuses on the processes of "mind change", an issue that anthropology has traditionally treated from the perspective of "cultural evolution", but which I approach here in a different way through the systemic thinking of Gregory Bateson. From this perspective, change is an "ecological" process that affects the pattern of relationships between a system and its environment. While Bateson's central metaphor is ecological, his focus is not on "organic life" but on the world of Mind as he sees it, which is made up of sense, organization, and communication. The model poses the premise that any change in the state of an idea system implies changes in its relations with its "environment" and vice versa, this reciprocity eventually leading to the crossing of incompatible logics, to the threshold of a fundamental paradox between the efforts made to maintain the status quo and those invested in creating new models.
The research problematic highlights three possible orientations of the study of mindset change: the personalist orientation favored by disciplines in the field of mental health, the situationist orientation better supported by communication theories (but also by artists and semioticians), and the ecological orientation characterized by a high level of abstraction, this with the aim of focusing the gaze, not on lived experiences nor on the context of their ordeal, but rather on the logic of the orders that structure the communication between a system and its environment. The presentation of the problematic includes the placement of markers in Bateson's work to circumscribe his sphere of relevance, to expose his systemic model of the mind and to clarify his terminology.
The research unfolds within the conceptual framework of the systemic paradigm as it is declined in Bateson by an aesthetic formalism, a logical functionalism and a « neutral » processualism (in the sense of generic rather than particular). The method employed is characterized by use of analogical or metaphorical thinking structured around the concepts of form, function, and process; "pincer" reasoning, which combines induction, deduction, and transduction; and modeling by using examples.
Three case studies presented in the form of articles make up the body of the thesis. Each of these studies illustrates a theoretical or methodological aspect of Bateson's systemic thinking while being rooted in one and the same substratum, that is, the theme of mindset change, as it plays out in my own intellectual experience in an academic context. The first article focuses on a particular academic mindset (Scientism) that conditions the environment of university research when it is carried out in conditions of disciplinary or sectoral interest; the second article takes a critical look at a certain professional mindset (Corporatism) that has paralyzed the environment of a bachelor's program in art practice at a francophone university in Montreal ; and the third article is a feminist critique of a typical North American cultural mindset (Machismo) that reigns in the sphere of musical entertainment as the romance industry acts as a vehicle for the socialization of young girls to communicative violence in heterosexual romantic relationships. The common thread of these three articles remains implicit in the published versions: it concerns the critical threshold for a change of mindset that can be reached when a confrontation between two contradictory adaptive logics takes place, their respective processes being able to maintain, as well as to threaten the ecology of the affected systems of thought.
The thesis concludes with a short reflection on the ethical stakes of mindset change research, followed by a commentary on the place that "sovereign" thinking (that which sets its own goals) could favorably take in the architectonics of the new human reality, (not) well envisioned by this "University of the Future" that Quebec's of which chief scientist is now asking us to dream.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/27428 |
Date | 04 1900 |
Creators | Genest, Sylvie |
Contributors | White, Bob W. |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
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